Søren Skou et Rodolphe Saadé et ne partagent pas vraiment les mêmes convictions en matière de décarbonation de leurs flottes respectives. Le CEO de Maersk milite en faveur des carburants de rupture (méthanol vert notamment), non disponibles à ce jour mais options radicales pour débarrasser le secteur de ses émissions de gaz à effet de serre. Le PDG de CMA CGM défend le GNL par pragmatisme car seule alternative accessible à l’échelle bien que transitoire. Le leader mondial et le numéro 3 du transport maritime par conteneur semblent en revanche adhérer aux mêmes dogmes quant à ce que pourrait être demain le transport maritime: sans coutures, sans ruptures et sans frontières, la ligne d’horizon entre air et mer se confondant. Aux analystes qui se demandent ce que les compagnies maritimes comptent faire de leurs abondantes liquidités, le groupe A.P. Møller-Maersk a apporté quelques éléments de réponse à l’occasion de la présentation d’un Ebitda de 6,9 Md$ pour le troisième trimestre: l’acquisition du commissionnaire international de transport Senator et la commande de cinq Boeing pour sa compagnie aérienne, Star Air, qu’il avait créée en 1987 au moment de la déréglementation du ciel.
Dans sa volonté de fournir un guichet unique et des capacités logistiques de bout en bout à ses clients, l’armateur danois a devancé son homologue français de plusieurs décennies. Mais il ne semblait pas faire de sa compagnie tout cargo un véhicule clé de son offre logistique. Le groupe entend manifestement lui donner une autre envergure en étoffant la flotte avec deux B777F neufs qui seront livrés en 2024 et trois B767-300F, ceux-là affrétés auprès du groupe ATSG et opérationnels en 2022.
Un tiers en aérien
A.P. Møller-Maersk a confirmé par ailleurs son intention d’acquérir Senator International, un commissionnaire de transport allemand plutôt spécialisé dans le fret aérien (65 % de son chiffre d’affaires de 730 M$ en 2020, 30 % en maritime et 5 % en logistique et entreposage). Le transitaire hambourgeois, particulièrement établi dans l’industrie automobile et pharmaceutique, exploite dix-neuf vols hebdomadaires. La transaction, portant sur une valeur d’entreprise estimée à 644 M$, devrait être finalisée au premier semestre 2022 sous réserve du feu vert réglementaire. En 2021, l’ETI allemand devrait réaliser un chiffre d’affaires de 950 M$ pour un Ebitda de plus de 80 M$.
« Notre ambition est de faire transporter environ un tiers de notre tonnage aérien annuel au sein de notre propre réseau. Cet objectif sera atteint en conjuguant capacités en propre et affrétées sur le modèle du fret maritime », indique la direction de la compagnie maritime, qui fera appel à des transporteurs tiers et opérateurs de vols charters pour les tonnages restants.
Sa division Logistique et Services a vu son chiffre d’affaires augmenter de 38 % au troisième trimestre, à 2,6 Md$. « Les synergies entre le transport maritime et la logistique stimulent la croissance, puisque plus de la moitié de notre clientèle dans la logistique sont des chargeurs qui ont opté pour nos solutions intégrées de bout en bout », souligne Søren Skou.
Chère acquisition
Le 22 décembre, le danois a annoncé un accord d’une valeur de 3,6 Md$ pour racheter les 223 entrepôts du hongkongais LF Logistics (capacité de 2,7 millions de m2). Le groupe spécialisé dans la logistique contractuelle (secteurs de la vente au détail, en gros et du e-commerce) est actuellement codétenu par la société Li &Fung, actionnaire majoritaire avec 78,3 %, et par le fonds souverain singapourien Temasek (21,7 %). LF Logistics offre au groupe danois une porte d’entrée vers le marché asiatique de la logistique. Maersk, qui a intégré sa filiale Damco en fin d’année dernière et dispose de 326 hubs d’expédition dans le monde, acquiert ainsi 95 entrepôts en Chine et en Inde où il n’en avait que 25. L’action d’A.P. Moller-Maersk a pourtant cédé du terrain le jour de l’annonce. Manifestement, les marchés tiquent quant à la valeur de l’opération. Temasek avait en effet acquis sa participation pour 300 M$, valorisant la branche logistique à environ 1,4 Md$ à l’époque. Maersk a donc payé le double.
22 Md$ de bénéfices
Jusqu’à présent, Maersk avait réservé son cash à des acquisitions de taille moyenne dans l’entreposage et la distribution, telle sa prise de participation au capital de Huub (solutions logistiques pour les e-commerce) ou le rachat de l’américaine Visible Supply Chain Management pour 838 M€ et de la néerlandaise B2C Europe Holding B.V. pour 86 M€. Le leader de la ligne régulière peut se permettre à peu près tout. Il sort du troisième trimestre avec un chiffre d’affaires en hausse de 68 % (16,6 Md$), un Ebit multiplié par près de cinq à 5,9 Md$ et un résultat d’exploitation avant intérêts, impôts et amortissement (Ebitda) qui a triplé pour atteindre 6,9 Md$. Il devrait solder l’année sur un bénéfice d’exploitation de l’ordre de 22 à 23 Md$.