La trêve des taux de fret spot, observée en octobre en amont et en aval de la Golden Week, semaine de jours fériés en Chine, aura été de courte durée. L’indice de référence, qui mesure les tarifs de transport pour un conteneur au départ de Shanghai et pour une vingtaine de destinations (prix négociés sur une base quotidienne avec une validité de moins de 30 jours), est reparti à la hausse en novembre, approchant début décembre les 4 800 points. Alors que certains signes de rééquilibrage de l’offre et de la demande suggéraient une stabilisation de la situation, l’intrusion du dernier-né de la famille du coronavirus a imposé un nouveau test de résistance à la chaîne mondiale d’approvisionnement. Mais il pourrait prolonger l’épiphanie du conteneur. On en connaît désormais tous les mécanismes. Cela fait plus d’un an que la flambée des prix du transport est entretenue par les perturbations actuelles dans la ligne régulière consécutives à une reprise économique forte, rapide et subite, de surcroît stimulée par les plans de relance publique. Les taux de fret tout compris vers l’Amérique du Nord au départ de la Chine se sont renforcés au cours de la semaine qui s’est terminée le 3 décembre, selon les indicateurs de Platts. Mais les tarifs les plus élevés se situaient principalement entre 12 000 et 14 000 $ par conteneur de 40 pieds (FEU) vers la côte Ouest des États-Unis et entre 16 000 et 18 000 $ vers la côte Est. Entre Asie et Europe, les transitaires s’attendent à ce que les prix augmentent en conséquence à la fin du mois de janvier sous l’effet d’une demande subite de transport avant une accalmie de près de trois semaines au cours desquelles les exportations de la Chine devraient ralentir. Le scénario d’une détente lente et progressive des prix du transport de conteneurs, au fur et à mesure que l’étau des contraintes logistiques va se desserrer, font de plus en plus de convaincus chez les acteurs du marché. Mais cela ne se fera pas sans l’économie de blank sailing, indiquent-ils. Le rationnement de l’électricité en Chine ne plaide pourtant pas en ce sens, les arriérés dans les carnets de commande s’accumulant. Selon les indicateurs, il devrait persister tout au long de la saison hivernale, qui s’étend jusqu’en janvier.
Surtaxes durables
À vrai dire, plus personne ne s’aventure dans les projections tant les facteurs influençant l’offre et la demande sont aléatoires et surtout échappent à ceux qui en subissent aujourd’hui les conséquences, les transporteurs comme les transitaires ou les chargeurs. Personne n’a prise sur la pénurie de main d’œuvre, de châssis aux États-Unis, de camions et de chauffeurs routiers en Europe, sur la difficulté de renvoyer les conteneurs vides vers les hubs d’exportation asiatiques, sur les inondations qui ont noyé les réseaux ferroviaires, sur les typhons qui ont entraîné la fermeture des ports asiatiques… Les déséquilibres à tous les niveaux soutiennent des prix élevés. Et même quand les taux de fret ont marqué la pause en octobre, la baisse n’était pas ostentatoire. Les surtaxes restent aussi en vigueur et pourraient régner tout au long du premier semestre de 2022, selon les sources, tout comme les tarifs premium pour obtenir un chargement en temps voulu. Des primes apparaîtraient d’ailleurs pour des exportations prioritaires vers la Méditerranée, indiquent certains transitaires. Mais les réservations en FAK (freight all kind) sur la route Asie-Europe dominaient encore en décembre et les prix avaient même tendance à baisser, bien qu’étant à des niveaux élevés, autour de 15 000 à 16 000 $ par conteneurs de 40 pieds, selon les données de Platts.
L’énergie en trouble-fête
En fin d’année, la congestion portuaire a trouvé un nouveau relais de croissance: la crise de l’énergie. Alors que les taux de fret ont dévissé en octobre, offrant un éphémère sursis aux importateurs et exportateurs, la pénurie d’électricité dans les principales usines du monde, Chine et Inde, a jeté un nouveau pavé dans la mare. « La congestion s’atténuera quand la demande de transport diminuera, soit soudainement en raison d’une crise quelconque, soit progressivement en raison d’une consommation américaine normalisée », entendait-on dans tous les colloques. La « crise quelconque » pourrait donc être, contre toute attente, celle de l’énergie. La flambée des prix, concomitamment à la réduction de la production de charbon pour diminuer les gaz à effet de serre, ont contribué au rationnement de l’électricité en Chine, avec pour conséquence majeure de ralentir la production et limiter sa puissance exportatrice. Elle a cependant une vertu: lâcher du lest sur les cadences effrénées des arrivées de navires qui s’amassent au large et permettre de traiter les conteneurs empilés sur les quais. Au cœur de la ceinture manufacturière du sud de la Chine, autour de Guangdong, les effets ont été très rapidement visibles. D’après le Nikkei, une filiale de Foxconn, le plus grand assembleur d’iPhone au monde et fournisseur clé d’Apple et de Tesla, a arrêté la production de son usine de Kunshan, dans la province de Jiangsu. De même pour Unimicron Technologies, autre fournisseur d’Apple localisé au même endroit. 70 % de la production chinoise de magnésium a dû en outre être suspendue. Pour Thomas Grjebine, responsable du programme Macroéconomie et finances internationales au Centre français d’étude et de recherche en économie internationale (CEPII) le monde économique est en train de vivre « sa première crise de la transition écologique ». « Le frein sur les investissements dans les industries polluantes sans que les alternatives n’aient eu le temps de se mettre en place ont entraîné une flambée du coût des énergies. »