Les décisions politiques sont parfois un opaque objet du délire. À l’heure de la confrontation à un virus qui racle les nerfs en jouant les va-et-vient, l’équation française du en « même temps », doublé d’un pari « quoi qu’il en coûte » pour un défi « le tout pour le tout » ne s’exprime pas à l’endroit du ferry et roulier en « un pour tous, tous pour un ».
Au diable Vauvert le ro-pax dans la distribution de l’argent magique de la relance. Quand bien même il a dû naviguer en période d’urgence vitale pour nourrir les hommes assignés à quai. Quand bien même il a été contraint, au nom de l’intérêt supérieur de la santé publique, à ne pas embarquer les passagers malgré les difficultés pour des compagnies aux marges étroites à opérer avec ce trépied mal chaussé. Quand bien même il a ainsi mis à mal sa structure d’exploitation naturelle.
À l’orée de la saison estivale, cruciale pour des opérateurs nerveux qui comptent sur ces revenus pour compenser la traversée du désert, le ressenti est douloureux face au déballage des sacrifices nécessaires qu’il a fallu consentir pour répondre au caporalisme de la puissance publique. Fût-ce de nécessité que de ligoter la liberté de circulation et séquestrer l’activité économique.
Or les difficultés que les exploitants de ferries rencontrent aujourd’hui mettent à nu la vérité critique de leur état. Curieusement, à l’heure où tous les États, stressés par la perte de leur PIB, se font Léviathan et déploient le bouclier anti-faillite, le ferry français ne profitera pas vraiment de largesses publiques spécifiques au-delà des mesures relevant du droit commun. Condamné à « espérer le meilleur et anticiper le pire » en priant le dieu de la mer qu’un nouveau coup de houle sanitaire ne le fasse rentrer au port et ne l’engeôle à nouveau avant même la fin de sa période de fortune.
Pour les françaises du segment, c’est la cellule de dégrisement. Elles se réveillent assommées par la crise sanitaire en se découvrant de surcroît insuffisamment « stratégiques » à l’heure où l’exécutif juge impérieuse la nécessité de conforter la souveraineté nationale et a lancé une vaste opération de démocratie participative – le Fontenoy du Maritime – pour asseoir la place de la France sur la scène maritime internationale. Quoi de plus souverains qu’un pavillon et des marins français, s’étranglent les armateurs. Le retour de la France maritime sur la scène internationale, tous adhèrent ou du moins « ont envie d’y croire ». Mais les signaux envoyés, contradictoires, déroutent. Esquif d’un secteur en crise, le Fontenoy du Maritime a la pressante obligation pour ne plus désespérer la filière.
Ailleurs, sur la Manche, le retour des procédures douanières après 47 ans de transport sans couture contraint les opérateurs à des adaptations urgentes et néanmoins périlleuses. L’Irlande, seul pays qui partage une frontière avec le Royaume-Uni, est au cœur de l’agitation du marché. Mais le déploiement de services Irlande-Europe dissimule quelques fragilités. Une traversée de 24 heures est sans doute d’un grand confort pour les chauffeurs routiers et réconfort pour les nerfs sollicités par la paperasserie d’un passage à la frontière. Mais un ferry qui circule six fois par semaine, avec quelque 60 à 70 remorques par aller, sera-t-il suffisamment viable sans pouvoir compter sur les passagers autant que les services ro-pax au long cours vers l’Espagne par exemple? Des précédents historiques témoignent d’un équilibre délicat. Ils ont eu la vie désespérément courte.