Le ro-pax français à la peine

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Le ferry, parent pauvre du plan de relance français? Angle mort des politiques publiques? S’estimant les grands oubliés des mesures pompiers, les acteurs du secteur n’emploient plus le mode interrogatif depuis quelque temps déjà.

Condamnés à la quasi-inactivité par des décisions gouvernementales pour des raisons sanitaires tout en étant assigné à maintenir le fret pour assurer l’approvisionnement des produits de première nécessité, les opérateurs de ferries et de ro-pax n’ont pas bénéficié des largesses spécifiques de l’État français auxquels ont eu droit les entreprises du tourisme. Ils ont dû se contenter des mesures relevant du droit commun (prêt garanti par l’État et chômage partiel). Dans le cadre du plan de relance Tourisme, les conditions auraient été nettement plus confortables. L’assiette est établie sur la base des trois plus importants mois de chiffre d’affaires (contre 25 % du CA moyen pour un PGE standard).

De prime abord, le plan de relance à 100 Md€ présenté par le premier Ministre Jean Castex le 3 septembre 2020 ne contenait pas davantage de mesures d’accompagnement spécifiques pour l’ensemble du ferry français.

La fermeture de l’espace Schengen et l’assignation à résidence des navires ont pourtant privé la France de recettes touristiques. En 2019, 857 000 voyageurs de Brittany Ferries avaient dépensé 586 M€ dans l’Hexagone avec la réservation de 8,7 millions de nuitées.

Addition salée

L’addition est salée et l’État plutôt ingrat concernant les compagnies français qui, à l’instar de Brittany Ferries, Corsica Linea et La Méridionale, qui ont toutes subi un préjudice, opèrent sous pavillon national premier registre en allant sur des terrains occupés par des concurrents opérant sous un pavillon économique. Pour rappel, La Méridionale s’est lancée sur le Maroc avec des équipages 100 % français.

Sur l’ensemble des façades maritimes françaises, le ferry a souffert et est toujours à la peine.

En Méditerranée, la situation sanitaire se double de l’inextinguible dossier de la délégation de service public (DSP), écheveau complexe dont les aides accordées n’en finissent plus d’être confrontées à la compatibilité avec le marché intérieur. Les rapports de la Commission européenne s’enchassent en condamnant toujours un peu plus un système qui ne tient plus.

Sur le transmanche, c’est la multiple peine. Sévèrement secoués par la crise sanitaire, ses acteurs sortent de plusieurs années de cabotage au cours desquels ils ont navigué entre valse-hésitation et interminables négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

Le décrochage de la livre sterling depuis la première mention du référendum, la perte de pouvoir d’achat des Britanniques qui s’en est suivie et plus globalement, la situation économique et sociale du Royaume-Uni, se sont par exemple matérialisés pour la compagnie bretonne Brittany Ferries par une perte de 115 M€ en quatre ans.

Coup de grâce

Le Covid a été le coup de grâce pour les compagnies opérant sur le marché transmanche. Certaines, dont le chiffre d’affaires repose en premier lieu sur le passager et le tourisme, ont vu leur trafic littéralement pulvérisé. Et pendant des mois, leur flotte a été tantôt assignée à quai, tantôt autorisée à opérer à jauge réduite.

La compagnie qui chronique cette histoire est encore Brittany Ferries, entreprise dépendante d’une clientèle à 85 % britannique et de l’activité passagers à 80 %, de surcroît contrainte par ses conditions d’exploitation avec des revenus en livres sterling mais des dépenses de fonctionnement en euros. Ses réservations en juin étaient au niveau du plancher marin, au nombre de 173 000. C’est encore moins que les 242 000 engrangées à la même époque l’an dernier. Sur l’Espagne, où la compagnie bretonne a progressivement tissé un arc atlantique, elle parvient à être dans les clous 2020, mais il manque la moitié de la jauge par rapport à 2019.

2021 sera probablement une nouvelle année morte. Des temps difficiles s’annoncent donc alors que l’entreprise s’est endettée pour passer le cap avec un PGE de 117 M$ conclu auprès de 12 banques, avec 5 M€ de la BPI et des avances de trésorerie des régions Bretagne et Normandie à hauteur de 30 et 35 M€.

L’an dernier, Brittany Ferries a quasiment épuisé la plupart des leviers à sa disposition pour réduire les coûts: navires désarmés, chômage partiel de 1 311 personnes sur un effectif total de 2 865 employés, mise en sommeil de quelques investissements tel son projet d’autoroute ferroviaire.

Mais elle n’a pas pu éviter tous les récifs. Ayant transporté moins d’un tiers de passagers en comparaison des années précédentes – 752 102 passagers pour 2,5 millions de passagers en 2019 sur 14 routes maritimes – elle a perdu 57 % de son chiffre d’affaires, passant de 469 M€ à 202,4 M€ en un an.

Plans sociaux en Europe

En raison des restrictions de mobilité, la plupart des compagnies européennes de ferries ont été contraintes de suspendre leurs activités de transport de passagers pour se concentrer sur le fret. Pour la plupart, la décision s’est accompagnée de la mise au chômage d’une bonne partie de leurs employés, en partie couverts par des mesures de soutien public. Mais certaines d’entre elles ont été contraintes d’aller au-delà du seul désarmement des navires et n’ont pas pu éviter les plans sociaux, à l’instar de DFDS, l’un des grands opérateurs du ferry européen. Son grand rival nord-européen, Stena, qui occupe des positions fortes en mer d’Irlande et opère une vingtaine de lignes en Europe du Nord, a également dû procéder à des plans sociaux touchant près de 1 000 personnes. P&O Ferries, qui avait d’abord eu recours au chômage partiel touchant 1 100 personnes, avait fini par les convertir en licenciement l’an dernier. La compagnie, filiale de l’opérateur portuaire émirati, avait évoqué ce préalable comme un mal nécessaire pour qu’elle puisse survivre alors qu’elle avait fait valoir un besoin de trésorerie de près de 300 M€ auprès de sa société mère, DP World, qui lui avait opposé une fin de non-recevoir.

À force de le réclamer à cor et à cri, mais sans garantie sur la durée, les compagnies françaises ont fini par obtenir le « net wage » [exonération des charges patronales sur les salaires, les armateurs bénéficiant déjà de celle portant sur la part patronale]. Une disposition dont bénéficient les pavillons italien, allemand et belge et qu’une directive européenne autorise depuis 2004.

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