Comment s’est terminée la dernière campagne?
Thierry de Boussac: Sur la fin de la campagne, les flux se sont maintenus. La crise sanitaire n’a pas eu d’incidence, elle n’a pas bloqué les ports ni la logistique routière, fluviale et ferroviaire. La fluidité est demeurée tout au long du confinement et il n’y pas eu non plus de problème de quarantaine sur les équipages à leur arrivée dans les ports. La seule incidence de l’épidémie est qu’elle a davantage régionalisé les marchés, chaque pays desservant les pays de « sa » zone, la France vers l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest, les pays de la Mer Noire vers le Proche et le Moyen-Orient.
Et la nouvelle campagne?
T. de B.: Depuis juillet, on a changé de campagne mais pas de problème sanitaire. Surtout, la France a produit 10 Mt de blé en moins par rapport à la campagne précédente et on le ressent dans les disponibilités. Les marchés sont très instables. Ce n’est pas dû à la crise sanitaire mais à une forte baisse de la production. La conséquence est que les prix ont renchéri sur le marché mondial. La nouvelle campagne a commencé, jusqu’à la mi-août, avec l’Algérie et un peu d’Afrique noire. Depuis, la Chine et Cuba occupent le terrain. Avec Cuba, les relations commerciales sont compliquées par la problématique du paiement et peu de pays acceptent de travailler avec les Cubains. Pour nous, cela représente 500 000 t par an.
La demande chinoise est très marquée cette année. Quelles en sont les raisons?
T. de B.: La Chine fonctionne selon un système de quotas pour ses importations, dispositif qu’elle utilise désormais à fond pour le blé et encore davantage pour le maïs. Ce dernier a subi une baisse de production drastique depuis que la règle de prix minimum a pris fin. Et cette année, la production a été affectée par un gros typhon au mois d’août et elle y a sans doute perdu 10 à 15 Mt. L’autre raison pour laquelle la Chine se constitue des stocks est qu’elle craint une deuxième vague du covid sur son propre territoire et des représailles internationales qui se traduiraient par une taxation des produits chinois. Et il y a aussi la reconstitution de son cheptel de porcs maintenant que l’épidémie de peste porcine africaine est terminée. C’est pourquoi elle importe tous les produits dont elle a besoin, maïs, blé, sorgho, orge.
Les exportateurs français ont des clients fidèles. Quelles sont les raisons de cette fidélité?
T. de B.: L’un des atouts des céréales françaises est leur proximité géographique avec les pays clients. Cela donne des temps de passage assez courts. Un autre atout est la qualité homogène des blés. Elle n’est pas très haute, il lui manque quelques dixièmes de points en matière de protéines, mais cette qualité est mieux garantie que celle des blés de la mer Noire. Les lots français sont plus homogènes. On peut commander deux ou trois bateaux avec la même qualité sur l’ensemble de leurs chargements. Même si la Russie et l’Ukraine ont bien amélioré la qualité de leurs grains, sa variabilité est plus importante que dans les blés français et ils doivent avoir recours aux mélanges de lots pour obtenir une qualité correcte.
Les clients traditionnels sont-ils toujours demandeurs cette année?
T. de B.: Sur la production française de blé, 22 à 25 Mt vont à la consommation intra-communautaire. Tout ce qu’on produit en plus, il faut le sortir. Cette année, la France a produit 29 Mt, ce qui laisse environ 7 à 8 Mt de disponible exportable, contre 13 Mt l’année dernière. Il permet de livrer d’abord les clients traditionnels d’Afrique de l’Ouest et du Nord. Ce qui vient en plus ira en partie à l’Égypte. Mais l’arrivée de la Chine va changer la donne. Cette dernière a moins d’origines d’approvisionnement répertoriées que l’Égypte qui, elle, se fournit aussi en Russie et en Ukraine. La proximité joue beaucoup. Depuis peu, la compétitivité du blé français est de retour. Il y a une grosse demande de l’Algérie pour novembre. Celle du Maroc est encore légère et le pays privilégie les prix et donc, pour le moment, les blés de la mer Noire, de l’Argentine et des Pays Baltes.
Et du côté des concurrents?
T. de B.: Les principaux concurrents de la France sont les Russes, premiers exportateurs mondiaux, et les Ukrainiens. Puis viennent la Roumanie, la Bulgarie, les Pays Baltes, la Pologne, l’Allemagne. L’Argentine expédie aussi vers l’Afrique de l’Ouest, mais de décembre à mars. Quant à l’Australie, elle est très déficiente depuis deux ans pour des raisons climatiques. Le blé est produit sur de grandes étendues, en semis direct, et il faut des pluies en temps et en heure. Les dernières années, très sèches, ont réduit sa production. L’Australie exporte plutôt vers l’Indonésie, le Sud-Est asiatique, la Chine, le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Est. Mais elle devrait venir concurrencer les blés de la mer Noire sur le Proche-Orient si elle ne peut plus compter sur le marché chinois.
L’orge en chute libre
L’orge connaît la même conjoncture que le blé: la forte baisse des rendements due aux conditions climatiques. Malgré une hausse de 2 % des surfaces cultivées, la production française d’orge a diminué en 2020 de 23 %, n’atteignant que 10,5 Mt contre 13,7 Mt l’année précédente. En conséquence, les exportations françaises devaient fortement chuter en 2020-2021 par rapport à la campagne précédente, avec seulement 2,8 Mt exportées vers les pays membres de l’UE (– 29 %) et 2,9 Mt vers les pays tiers (– 26 %), selon les estimations de FranceAgriMer.
Le maïs tire son épingle du jeu
Semé au printemps, le maïs a pu profiter des parcelles agricoles laissées vacantes par l’échec des semis de blé d’hiver. Les surfaces cultivées sont donc en hausse de 9 % en France, avec une augmentation de 5 % de la production (12,7 Mt) malgré un rendement en légère baisse. Les exportations françaises de maïs, qui se font exclusivement vers des destinations européennes, devraient se solder par 4,1 Mt (+ 4,5 % p/r à la campagne 2019-2020).