Dans la partie d’échec qui se joue entre la Chine et les États-Unis, la principale victime n’est pas celle que l’on croit. L’Australie, un des grands fournisseurs de blé du géant asiatique, est sans doute le pays qui a le plus à perdre. Le pays pourrait payer chèrement son alignement sur la position américaine à propos des mouvements sociaux à Hong-Kong. Les États-Unis sont parvenus à contraindre la Chine à respecter ses engagements commerciaux. Les flux de matières premières ont donc repris de l’est à l’ouest du Pacifique. Mais l’Australie, qui n’a pas la même puissance, essuie les représailles de la Chine. Cette dernière a taxé le blé australien entre 90 et 100 %. Malgré les accords commerciaux passés entre les deux pays pour deux ans et afin de prévenir une rupture avec les États-Unis, « la Chine cherche déjà où se sourcer dans la perspective où se tariraient ces approvisionnements et la France est bien placée », souligne Jean-François Lépy, le directeur général de Soufflet Négoce. Le géant asiatique, gourmand en matières premières, est exigeant. Ses fournisseurs doivent correspondre à de stricts cahiers des charges et font ensuite l’objet de visites, de suivi et de contrôles. Pour le blé, seuls une poignée de pays sont aujourd’hui agréés. Et la France est actuellement l’unique en Europe, ce qui lui laisse une place de choix pour écouler sa production.
Une place dans le sourcing chinois?
Sur la campagne 2019-2020, la Chine a été beaucoup plus présente qu’à l’accoutumée dans les exportations de céréales françaises. Et sur les trois premiers mois de la nouvelle saison démarrée en juillet, elle en a déjà acheté autant que sur l’ensemble de la précédente. Ce soudain appétit a deux origines: d’une part, le pays est parvenu à enrayer l’épidémie de peste porcine africaine qui décimait ses cochons. La Chine a renouvelé son cheptel et a besoin de céréales pour nourrir les animaux. D’autre part, les dernières moissons n’ont pas donné les rendements escomptés dans l’hémisphère nord, l’offre étant plus restreinte que d’habitude, et l’énorme demande de la Chine a dopé les prix. Cette flambée des cours a refroidi les autres clients potentiels qui espèrent son éventuelle retombée pour passer leurs commandes. Pour les orges, les fournisseurs de la Chine sont un peu plus nombreux mais pas sur de gros volumes, comme le Danemark et la Bulgarie. Quant à l’Ukraine, la qualité de ses grains n’est pas conforme. Pourtant, la clientèle de la Chine est très convoitée: « L’écart de prix entre une orge fourragère qui peut être exportée vers la Chine et une qui ne peut pas est de 15 €/t. L’orge, de brasserie mais surtout fourragère, représente des flux importants dopés par les bisbilles avec l’Australie. »
Concurrence australienne
La forte demande de la Chine et son désintérêt subit pour les blés australiens modifient les échanges. L’Argentine, qui a l’an dernier étendu ses surfaces de blé de 60 %, est sur les rangs. Sa production devrait continuer de croître en quantité et en qualité. Et le gouvernement a même autorisé cette année la production de blés OGM, une première mondiale. Cette modification génétique permet à la céréale de mieux résister aux sécheresse. Quant à l’Australie, elle doit se trouver de nouveaux débouchés et devrait en principe cibler prioritairement les pays d’Afrique de l’est et du Moyen-Orient, parmi lesquels l’Arabie Saoudite et, dans une moindre mesure, le Yémen qui passaient régulièrement commande auprès des exportateurs français.