À l’heure où les pouvoirs publics et l’UE sortent les chéquiers magiques et les grands plans d’investissement public, l’International Transport Forum (OCDE) met en garde les pouvoirs publics contre la tentation de renflouer un secteur qui, sans le Covid, est à un niveau d’endettement avancé depuis quelque temps déjà. Certains d’entre eux ne sont pas loin des 20 Md€, dont le transporteur français CMA CGM.
« La dette cumulée des 14 premiers opérateurs a atteint 95 Md$ au 3e trimestre de 2019, contre 76 Md$ en 2010 », indique l’organisation intergouvernementale, connue pour ses nombreux travaux sans concession sur les effets pervers des alliances maritimes: leur caractère monopsone et la concentration tant chez les armateurs (horizontale) que dans le secteur de la manutention (horizontale) (38 % des terminaux européens étaient contrôlés par les armateurs en 2017). « En conséquence, depuis 2016, 14 d’entre eux ont un score moyen de 1,3 sur l’indice Altman-Z et l’indicateur s’est encore aggravé en fin d’année dernière. »
Appliqués au secteur maritime, les Z-Scores (formule utilisée pour évaluer la probabilité qu’une entreprise fasse faillite dans les deux ans) plaçaient en effet sept des onze premiers transporteurs dans des sphères inférieures à 1,3 point fin 2019, soit une probabilité « très élevée » d’insolvabilité potentielle. Les quatre autres transporteurs (Hapag-Lloyd, Maersk, OOCL et Wan Hai) ont des Z-Scores plus sains, de 1,72 à 1,92 points, mais pourraient également être mis sous pression si la contraction de la demande se prolongeait.
Largesses publiques
L’ITF rejoint en cela la position d’Alphaliner, l’analyste spécialiste des lignes maritimes régulières, qui n’a eu de cesse ces derniers mois de mettre en exergue les problèmes de liquidité des transporteurs et leur profil de grands endettés.
Dans ce contexte, croit savoir l’ITF, « il est donc probable que dans les mois à venir, les transporteurs chercheront à obtenir davantage d’aides publiques ».
Or l’OCDE rappelle que le transport maritime par conteneurs a déjà bénéficié des largesses publiques, voire que différentes politiques publiques ont pu encourager la prise de risque qui a précipité la trésorerie des entreprises dans le rouge. Elle fait notamment référence à des « arrangements fiscaux » favorables, telles que les régimes d’amortissement accéléré des investissements, les exonérations de l’impôt sur les sociétés et la fameuse taxe au tonnage, chère aux armateurs, ou encore les exemptions de taxes sur le carburant des navires (le fuel échappe en effet au principe pollueur-payeur qui prévaut dans d’autres secteurs). Des conditions que les armateurs français ne considèrent pas comme des cadeaux fiscaux mais comme des éléments essentiels de leur compétitivité, leur terrain de jeu étant international.
Des aides non indexées
Or les aides ne sont pas indexées à des exigences en termes de créations d’emplois, de richesses, de réduction de leur empreinte environnementale. « Dans certains cas, cela conduit à des situations paradoxales où les compagnies maritimes demandent l’aide du gouvernement alors qu’elles ont enregistré leurs navires dans d’autres pays pour échapper à sa fiscalité ou à sa réglementation du travail. »
« Les gouvernements devraient utiliser le levier économique de la crise du Covid-19 en prenant des mesures qui stimuleraient notamment un modèle plus résistant aux crises », espère l’ITF. L’organisation n’attend rien de moins que la fin des « échappatoires et exemptions fiscales », l’instauration d’une « tarification carbone » et un alignement entre « les transporteurs exonérés d’impôts et les entreprises non exonérées dans les activités logistiques ». La fin de l’immunité, en somme, vis-à-vis du principe qui régit d’ordinaire les règles de la concurrence, son vieux combat.