C’est une période tumultueuse pour les assureurs du secteur des transports. L’ indemnisation des pertes d’exploitation a été un grand sujet. L’assurance maritime a-t-elle bien géré le moment?
Mathieu Berrurier: Pendant la crise, les assureurs ont continué à travailler sur les contrats en cours car l’activité maritime s’est poursuivie dans presque tous les domaines, excepté l’activité passagers en arrêt brutal dès le premier jour du confinement. Les frontières sont restées ouvertes et les bateaux ont navigué. Pour les assureurs, ce fut une période chargée, avec une bonne réactivité pour continuer à indemniser les sinistres en cours.
Il y a eu plus de difficultés pour obtenir une renégociation, un report ou plus encore une annulation des primes pour les entreprises ayant dû le solliciter en raison de la baisse rapide de leur activité et de leurs pertes financières. Dans l’immense majorité des cas, elles n’avaient pas souscrit de contrat couvrant les pertes financières. Et pour celles qui l’avaient fait, ces contrats imposaient qu’elles aient subi préalablement un dommage à leurs biens et excluaient pour la plupart les cas « épidémie » et « pandémie » de leurs garanties. Cela a renforcé l’insatisfaction face aux assureurs, vus comme ceux qui ne veulent pas payer. Pourtant les assureurs,via leur fédération nationale ont très largement mis la main à la poche, avec une contribution volontaire, qui dépasse le milliard d’euros, au fonds d’indemnisation d’État.
Quelles problématiques émergent à la lueur de cette crise pour le secteur que vous représentez?
M.B.: Nous tirons tous les enseignements de ce qui vient de nous arriver. Le travail à distance a bien fonctionné, même si des simplifications sont encore à mettre en œuvre, par exemple pour les signatures électroniques. À plus long terme, il va falloir qu’on réfléchisse à une évolution de la notion même d’assurance. On ne peut plus continuer à considérer, dans le monde maritime, l’assurance comme une ligne de dépense dans un bilan. Des garanties pertes d’exploitation existent en cas d’empêchement ou de retard au déchargement, ou même de quarantaine. Mais elles ne sont pas souscrites, les clients souhaitant souvent s’assurer a minima pour réduire leurs frais. Il faut que chaque armateur, transitaire ou chargeur évalue l’intérêt, pour son activité, de couvrir ou non les risques plus complexes.
Les clients, avec leurs assureurs et courtiers, doivent réaliser une analyse complète de leurs expositions pour en évaluer les risques et décider soit d’augmenter le montant des primes pour être mieux couverts, soit de conserver une part de risque plus importante et de faire davantage d’auto assurance, par exemple avec des franchises plus élevées.
C’est une période difficile pour le marché de l’assurance transport?
M.B.: Il faudra plus que jamais trouver un juste équilibre entre les attentes très légitimes des assurés du monde maritime et celles des assureurs qui ont perdu aussi beaucoup d’argent pendant le confinement.
Une réflexion est en cours avec la Fédération française de l’assurance et Planète CSCA, le syndicat professionnel des courtiers d’assurance, afin d’envisager pour les catastrophes sanitaires un dispositif similaire à celui qui existe pour les catastrophes naturelles. C’est un chantier à long terme, qui nécessite de mutualiser de nouveaux risques, mais aussi de payer de nouvelles primes.
Croyez-vous à un monde d’après?
M.B.: On le sait tous, le gros des conséquences économiques est devant nous. Pour beaucoup de secteurs, les difficultés ne font que commencer et il faudra plus que jamais que les assureurs se montrent souples, conciliants et à l’écoute des besoins de leurs assurés. C’est notre métier de courtier de rapprocher les points de vue.
À long terme, nous n’avons pas d’inquiétude quant à la reprise du transport maritime, qui va cependant connaître un creux de vague. La conteneurisation va souffrir de l’évolution des échanges internationaux mais devrait rebondir. Le vrac va redémarrer car probablement moins impacté structurellement par le Covid. Et en ce qui concerne le transport de passagers, les petits transporteurs côtiers et les ferries devraient reprendre doucement des couleurs avec un rebond du tourisme franco-français. Je suis plus sceptique sur le business model de la croisière de masse. Mais sans doute est-ce aussi une belle opportunité pour nos champions français de la croisière à taille humaine et de qualité? En revanche, tout changement radical de vision sur ces géants de mers reste lourd de conséquences pour les chantiers qui les construisent…