Ils sont une centaine, emmenés par Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du Cluster maritime français, à avoir travaillé ensemble pour établir l’état de santé de l’économie maritime après le tsunami Covid. Ils ont été, en cela, épaulés par Sophie Panonacle et une dizaine d’autres députés. Pêche, marine marchande, ports, nautisme et plaisance, fluvial, construction navale, conchyliculture ou encore énergies renouvelables, chaque filière a contribué pour préconiser aussi les mesures nécessaires à la relance de leurs activités.
Le diagnostic de la crise sanitaire est terrible, mais il ne sert pas tant à se lamenter qu’à préparer l’avenir. Et cet avenir se dessine en bleu et vert, conciliant économie et écologie, et décliné en 150 mesures.
La toute première priorité qui se dégage concerne la compétitivité des activités portuaires, des industries navales et du transport maritime. La souveraineté est désormais une nécessité. Elle s’appuie sur la relocalisation des capacités technologiques (moteurs, navires autonomes, batteries), sur le filtrage des investissements étrangers, sur la préférence nationale et européenne pour les approvisionnements et aussi les appels d’offre, sur un conditionnement des aides publiques à des critères sociaux ou locaux.
L’ambition est aussi de combler le retard des ports français sur leurs grands voisins du nord de l’Europe. Quant aux chaînes logistiques, il s’agit d’accentuer le report modal et d’utiliser le rail pour renforcer l’hinterland.
Produits stratégiques et armements français
Le volet investissement du document « Happy blue days » s’attaque au financement des navires et au renouvellement de la flotte. « L’idée est de revisiter les dispositifs existants pour les rendre plus attractifs », indiquent ses rédacteurs. « Les financements ne sont pas uniquement bancaires mais incluent aussi des possibilités d’épargne d’entreprises ou de particuliers susceptibles d’investir dans la flotte française. »
Un second volet sur la solidarité économique souhaite inciter chargeurs et logisticiens à privilégier la flotte française. Derrière cette invitation au patriotisme économique est demandée une extension de la flotte stratégique telle que conçue dans la loi de 1992. Les quotas d’armements français jusque-là existants pour les produits pétroliers ou pour le brut seraient élargis à d’autres produits tout aussi stratégiques que le pétrole.
Le troisième train de mesures préconisées porte sur le social et consiste à « repenser avec les marins et les organisations syndicales le Code du travail maritime pour la modernisation dont il a besoin ». Parmi les vœux exprimés, celui de lutter contre le dumping social au niveau européen, de relocaliser les emplois partis vers des pays aux réglementations plus clémentes et d’améliorer la compétitivité des conditions des marins français.
GNL, hydrogène et consorts…
Quant à l’environnement, les pistes évoquées sont à la fois normatives, fiscales et opérationnelles: accélération de la R& amp; amp; D sur la motorisation et les carburants de demain, mise en place de zones de contrôle des émissions atmosphériques (ECA), amélioration du suramortissement vert, développement des branchements électriques dans les ports et des infrastructures d’avitaillement en ship-to-ship sous pavillon français… Le développement d’une filière GNL est évidemment mise en avant, mais le rapport cite aussi l’hydrogène, l’ammoniac et la propulsion vélique. Pour décarboner le GNL fossile, « le moyen le plus immédiatement disponible demeure le méthane de synthèse. Il apparaît indispensable de lancer des appels à projets tel que prévu dans la Loi d’orientation des mobilités pour le biométhane non injecté. » Le secteur craint en fait que le dispositif soit réservé au gaz en canalisation, non liquéfié et inutilisable dans le maritime.
L’accès aux garanties d’origine des biométhanes liquides (biogaz) est donc un point clé pour les armateurs: presque 10 % de la flotte française va être équipée de GNL. Le biométhane est une solution prometteuse dans le maritime, non seulement pour répondre aux premiers objectifs 2030 de l’OMI, mais aussi pour tendre vers la neutralité carbone à 2050, soutiennent les armateurs français. Or, la production française de biométhane liquide est aujourd’hui nulle.
Au gouvernement de donner l’élan
Dans le rapport, la voile comme moyen de propulsion devient une alternative possible pour certains types de fret. Propulsion principale ou auxiliaire, retrofit ou construction neuve, la jeune filière propre et bouillonnante se dit prête. Mais elle attend « un geste clair de la part du gouvernement et des autorités ».
Déjà une quinzaine d’entreprises – armateurs, fournisseurs de technologie et architectes navals fédérés au sein de l’association Wind Ship – sont pionnières dans ce domaine. Elles représentent « une considérable concentration à l’échelle mondiale, qui doit permettre au pays de devenir leader sur ce marché d’avenir », souligne le rapport. « Pour prendre leur élan, elles ont besoin d’un geste clair de la part du gouvernement et des autorités. »
Il revient désormais à Annick Girardin de se pencher sur ces 150 propositions, d’en définir les prioritaires et de mettre sur pied un plan de relance multi secteurs. « Dans le cadre du plan de relance en lien avec la transition énergétique, quelles seront les entreprises et activités essentielles à préserver et à sauver en priorité? Il est primordial de s’assurer que ces activités critiques, au service de la transition énergétique, puissent maintenir de l’emploi et du savoir-faire », indique un des auditeurs du rapport, représentant du Cluster maritime français.
Annick Girardin, un ministère attendu
En charge des Outre-mer dans le gouvernement Philippe, l’ancienne députée de Saint-Pierre-et-Miquelon vient d’être nommée ministre de la Mer dans le gouvernement de Jean Castex. Annick Girardin a pris ses fonctions sur un champ d’intervention étendu. La mer est désormais son quotidien selon le décret officiel n° 2020-879 du 15 juillet 2020 cadrant ses nouvelles fonctions, « en matière d’économie maritime, de rayonnement et d’influence maritimes ». Les attributions de la nouvelle ministre couvrent, entre autres, la navigation, la sécurité, la formation et les gens de mer. Elle doit « définir et mettre en œuvre une stratégie géographique d’influence de la France sur les océans ». Avec le ministre de la transition écologique, Annick Girardin chapeaute aussi les attributions relatives aux ports, aux transports maritimes, à la marine marchande et à la réglementation sociale dans le domaine maritime. Avec celui de l’économie, elle doit se pencher sur les politiques économiques maritimes, notamment la construction et la réparation navales et les politiques d’innovation dans ces domaines. Enfin, avec le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, elle aura aussi à travailler sur « les projets d’actes internationaux et européens ayant une incidence sur la politique maritime ».
Une mission à hauts risques. Au-delà de l’étendue de son domaine – 11 millions de km2 de ZEE (zone économique exclusive) – ses sujets marchent donc sur les plates-bandes de plusieurs ministères. La ministre devra également coordonner son action avec le Secrétariat général de la mer, créé en 1995 sous l’autorité du Premier ministre et dirigé par Denis Robin, qui se charge de contrôler et évaluer la politique marine, d’assurer la coordination et l’exécution toute décision prise en rapport avec la mer.
« Quelles compétences lui seront accordées? De quels moyens budgétaires disposera-t-elle pour des enjeux économiques, sociaux, écologiques, biologiques, énergétiques? Et surtout quelle sera la politique de son ministère, pour que ce ne soit pas une coquille vide? », a réagi l’ex-ministre Louis Le Pensec dans le quotidien régional Ouest-France.
« Fille de la mer et de marin-pêcheur », née à Saint-Malo, l’élue PRG qui a rejoint LREM en 2017 est, avec Jean-Yves le Drian, la seule ministre de François Hollande à avoir obtenu un maroquin sous la présidence d’Emmanuel Macron.
CMA CGM sur la vague verte
Fer de lance français d’une nouvelle voie, tant dans la façon de repenser le commerce maritime que de l’opérer avec des navires plus sobres, Rodolphe Saadé a apporté ces dernières semaines ses propres nuances de vert à la nécessaire transition écologique. Le PDG du seul armement de porte-conteneurs tricolore avait appelé dès mai à une relance verte en s’associant à un conglomérat de 155 multinationales. Par leur initiative, baptisée « Science Based Targets », ils veulent des politiques qui soutiennent les investissements respectant les termes de l’accord de Paris. Rodolphe Saadé est aussi à l’initiative d’une alliance visant à fédérer des ressources R&D pour développer « l’énergie de demain » dans le transport et la logistique. Elle rassemble Amazon Web Services, Engie, Faurecia, Michelin, Schneider Electric, Total, Wärtsilä, Carrefour, Crédit Agricole Corporate Investment Banking et les entreprises du Cluster Maritime Français.