« Il existe manifestement un vide réglementaire », peut-on lire à plusieurs endroits d’un document de 57 pages qu’a commis l’UE sur les effets de distorsion causés par les subventions étrangères au sein du marché unique. Et la « nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe » entend y remédier. Pour l’heure, la réponse de l’UE prend la forme d’un livre blanc (white paper on levellin the playing field as regards foreign subsidies) que la vice-présidente exécutive de la Commission européenne en charge de la concurrence et ex-ministre danoise de l’Économie Margrethe Vestager a présenté en juin dernier aux côtés du commissaire européen au Marché intérieur, le français Thierry Breton.
« L’UE figure parmi les économies les plus ouvertes du monde, ce qui attire des niveaux d’investissement élevés de la part de nos partenaires commerciaux », explique Phil Hogan, commissaire chargé du commerce. Mais si les subventions accordées par les États membres ont toujours été soumises aux règles de l’UE en matière d’aides d’État afin d’éviter les distorsions, celles octroyées par des autorités de pays tiers à des entreprises dans l’UE ne relèvent pas de ce contrôle. « Il existe un nombre croissant de cas dans lesquels les subventions étrangères semblent avoir facilité l’acquisition d’entreprises de l’UE ou faussé les décisions d’investissement, les opérations de marché… au détriment des entreprises non subventionnées », relève le livre blanc.
Des aides inacceptables
L’affaire n’a échappé à personne et, dans le secteur maritime et portuaire, le sujet revient vite sur la table même quand il ne figure pas à l’ordre du jour. Le PDG d’AP Møller-Maersk, à l’occasion de la présentation de ses résultats financiers, s’emportait contre ses homologues asiatiques HMM et Yang Ming. « Il est totalement inacceptable qu’elles reçoivent des aides d’État alors qu’elles n’ont pas gagné d’argent depuis dix ans », ne se privait pas Soren Skou. Le dirigeant avait ensuite demandé à l’UE d’intervenir, considérant que les soutiens publics faussent la concurrence. Il réagissait alors que les pouvoirs publics coréens et taïwanais se précipitaient une fois de plus au chevet des compagnies nationales en difficulté. La Corée du Sud doit abonder son secteur maritime à hauteur de 1 Md$, dont plus de la moitié (591 M$) fléchée vers le transporteur national HMM. La banque publique Korea Development Bank (KDB) a déjà injecté dans les liquidités de la compagnie 1,7 Md$ en 2017 et 850 M$ fin 2018. La Corée du Sud est d’ailleurs conduite par le Japon à s’expliquer devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) après la plainte déposée en février dernier.
Quant à Yang Ming, contrôlé à 48 % par des entités publiques, son conseil d’administration a approuvé le 6 mai un placement privé de 300 millions d’actions afin de lever des capitaux. La compagnie, qui accumule aussi les déficits – 220 M$ en 2018, 144 M$ en 2019 et encore 27 M$ au premier trimestre 2020 – avait déjà levé 10,3 milliards de NTD en 2017 auxquels les entités gouvernementales avaient contribué pour plus de la moitié.
Demande de réciprocité
Dans les ports européens, on dénonce aussi l’absence de surveillance des investissements directs étrangers et on réclame la réciprocité. Alors qu’en Chine, le gouvernement interdit aux étrangers de disposer de plus de 49 % du capital, la Fédération européenne des ports et exploitants portuaires (Feport) a toujours demandé qu’il en soit de même en Europe pour éviter le scénario du port grec du Pirée, racheté par le chinois Cosco.
Dans son livre blanc, l’exécutif européen propose plusieurs instruments de contrôle du marché et détaille trois cas sur lesquels il se propose d’intervenir: dans le marché unique en général; lors d’acquisitions d’entreprises de l’UE; lors des procédures de passation de marchés publics. La CE doit désormais recueillir des avis de toutes les parties prenantes. La consultation publique, ouverte jusqu’au 23 septembre, est le préalable à des propositions législatives. Le document entreprend donc un long voyage avant une quelconque action ou réaction.