Toujours diaboliquement versatile, le vrac sec

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6 décembre 2018. L’agence de notation Fitch publie ses projections pour l’année 2019 concernant le vrac sec et elle s’attend à ce que les taux de fret restent stables en moyenne en 2019 sur la « base de volumes équilibrés et d’une croissance nette de la flotte contenue à 3 % ». Quand elle publie, les États-Unis et la Chine ont décrété une trêve de 90 jours dans leur guerre tarifaire. Ce qui a son importance, les céréales, le charbon et le pétrole/gaz étant les trois matières premières que les États-Unis et la Chine peuvent respectivement exporter et importer en grande quantité (la seconde représente à elle seule les deux tiers de la demande mondiale de soja, par exemple). Au moindre choc, les flux commerciaux de produits de base sont donc susceptibles de se déplacer… Les droits de douane chinois sur les importations de céréales américaines ont par exemple entraîné une augmentation des exportations sud-américaines vers la Chine, tandis que le soja américain a été orienté vers les marchés européens et moyen-orientaux. Pour l’heure, le changement de fournisseurs et de routes a un effet plutôt positif sur les tonnes-milles générées.

Depuis la crise financière de 2008, le marché du vrac sec se remet « lentement et régulièrement » d’années de faibles recettes, les indices des capesize (BCI), les panamax (BPI), les supramax (BSI) et les handysize (BHI) affichant des taux de fret parfois proches des coûts d’exploitation des navires voire inférieurs. 2016 fut particulièrement difficile. 2017 avait offert un bol d’air grâce à une plus grande discipline des armements dans la gestion des capacités. 2018 fut sinusoïdale. 2019 est bipolaire: un mois de janvier orienté à la baisse, un mois de février très faible, un mois de mars stable. Puis ce fut l’emballement, avec notamment un engouement pour les handymax. En avril, 31 navires de cette taille avaient été alors échangés sur le marché S&P (achats et ventes), soit bien plus que les 23 transactions enregistrées les trois premiers mois de l’année, et aussi le plus grand nombre d’opérations réalisées depuis octobre 2016. Par comparaison, 43 panamax ont changé de main… mais sur trois mois.

C’était d’autant plus curieux que l’environnement ne s’y prête pas vraiment avec des taux de fret en baisse (– 6 % en avril pour les handymax). « Chaque fois qu’un nombre aussi important de transactions a été conclu, cela s’est produit presque toujours dans un environnement où les taux de fret étaient en hausse », expliquait alors l’analyste spécialiste des matières premières, Jeffrey Landsberg, à la tête de Commodore Research, évoquant une « bizarrerie ».

Cycle d’expansion?

Puis, cet été, les indicateurs du vrac sec, qu’on considère comme des baromètres de l’économie mondiale parce qu’ils reflètent l’état de la production industrielle ou agricole, ont été gagnés par le pic de chaleur, atteignant leur plus haut niveau en cinq ans: ils ont même franchi la barre des 2 000 points, alors qu’ils s’affichaient à 596 points en février.

Les capesize (180 000 à 200 000 tpl) se sont alors échangés pour plus de 31 000 $ par jour. Toutes les catégories en ont profité: les panamax flirtaient avec les 15 000 $, les supramax ont avoisiné les 10 000 $ et les handysize autour des 7 000 $. Les courtiers ont également connu à ce moment-là des semaines actives, avec des transactions dont les valeurs ont oscillé entre 9 et 17 M$.

Les analystes ont mis l’engouement du moment en partie sur le compte de la hausse des expéditions brésiliennes grâce à la « récupération » de certaines capacités productives du géant minier Vale, qui avait été entravé par la fermeture de mines suite à la rupture de la digue de Corrego do Feijao.

Au sortir de l’été, les analystes de Cleaves Securities promettaient « l’un des plus longs cycles d’expansion du vrac sec », estimant que la « remontada » était partie pour durer au moins jusqu’en 2022-2023.

Retour à sa cruelle réalité en octobre. Le Baltic Dry, qui reflète la moyenne des prix pratiqués sur 24 routes mondiales de transport pour les minerais, charbon, métaux, céréales, etc., a piqué du nez pour s’établir à son plus bas niveau sur trois mois (1 806 $).

La rémunération quotidienne moyenne des capesize, qui transportent habituellement de 170 000 à 180 000 t de minerai de fer et de charbon, avait chuté de 828 $ mi-octobre, à 24 203 $.

L’indice panamax a encaissé des pertes de 30 points de semaine en semaine, enregistrant sa pire journée du mois le 17 octobre, à moins de 1 800 $. La rémunération quotidienne moyenne des panamax, qui transportent de 60 000 à 70 000 t de charbon et céréales, a perdu 200 $ pour terminer à 14 388 $. L’indice supramax plafonnait à 1 200 $.

Multitude d’incertitudes

Pour tous les observateurs du secteur, il existe actuellement une « multitude d’incertitudes majeures » qui ne permettent pas aux propriétaires et gestionnaires de navires de se détendre.

La croissance continue de la flotte de vraquiers fait peser une menace supplémentaire sur ces catégories qui ont peiné à juguler les excès de capacités. « Entre 2011 et 2018, environ 100 millions de tpl ou 1 200 unités ont envahi le marché chaque année », indiquait Banchero Costa lors du Dry Bulk Shipping Forum organisé par S&P Global Platts en octobre à Singapour. « Les démolitions devraient rester modestes en raison principalement du profil d’âge de la flotte. Seuls 9 % ont plus de 20 ans et 21 % ont moins de 5 ans. Les neuf premiers mois de l’année ont vu 105 unités ou 10,4 millions de tpl affluer sur le marché ».

Structurellement, les perspectives ne sont guère encourageantes. Les frictions commerciales entament un trafic que la seule demande de la Chine pouvait mettre sous amphétamines, tant pour les minerais de fer que pour le charbon. Mais l’un comme l’autre ont une durée de vie limitée. Dans l’absolu, la Chine a réalisé des investissements importants pour se doter d’aciéries moins énergivores. Ce qui ne devrait pas profiter au transport maritime car les fours électriques à arc nécessitent moins de minerai de fer et de charbon à coke.

Le charbon, de moins en moins fréquentable dans un contexte mondial de transition énergétique, reste un produit d’importation clef pour la Chine, l’Inde, le Japon et la Corée, qui en consomment 900 Mt/an. Pour combien de temps ?

Adeline Descamps

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