Qu’avez-vous envie de retenir de la campagne d’exportation 2018/2019?
Philippe Heusele: La campagne, qui vient de s’achever, a été assez belle pour les exportations maritimes vers les pays tiers. Sur les 34,5 Mt de blé tendre récoltés, nous avons expédié 9,2 Mt vers le grand export, ce qui se situe dans la petite moyenne. Avec pour principale destination l’Algérie, qui en a acheté 5,1 Mt. L’Égypte et la Chine sont de retour parmi nos clients. Cette saison a toutefois été moins bonne avec 2 Mt exportées de moins que la précédente. Du point de vue des exportations intra-européennes, les mauvaises récoltes 2018 en Allemagne et dans le Nord de l’Europe laissaient espérer des débouchés importants pour les céréales françaises mais finalement, la France n’a exporté que 8,5 Mt. Les fabricants d’aliments du bétail ont massivement opté pour le maïs de la mer Noire, disponible du fait d’une grosse récolte en Ukraine. D’où un glissement des volumes de blé vers l’exportation à destination de l’Algérie et de l’Afrique subsaharienne.
Comment se présente la saison 2019/2020, qui a commencé au 1er juillet?
P.H.: La configuration est différente à plusieurs égards. Dans l’ensemble de l’UE, la production de céréales à paille a été bonne, voire très bonne. Avec 38,2 Mt de blé tendre selon le ministère de l’agriculture et 39 Mt selon les estimations de l’Association générale des producteurs de blé, la France réalise, malgré la canicule de juin, la deuxième ou troisième meilleure récolte des 20 dernières années. Le maïs, quant à lui, va certainement pâtir de la sécheresse de l’été, sans que l’on sache encore dans quelle mesure. Au-delà de la quantité, la qualité du blé tendre est au rendez-vous, avec un taux de protéine et un poids spécifique élevés, et un faible taux d’humidité, la canicule de juillet ayant permis de moissonner dans de bonnes conditions. Cela va satisfaire nos clients les plus exigeants pour le blé panifiable, par exemple en Algérie et surtout en Afrique subsaharienne, où les boulangers fabriquent du pain de type baguette dans des conditions de chaleur et d’hygrométrie difficiles.
Cela augure de belles perspectives à l’export, donc?
P.H.: Le volume et la qualité sont là, mais la concurrence est forte, avec des bonnes récoltes dans les principales régions exportatrices. Cela se reflète d’ailleurs dans les prix, qui sont de 15 à 20 % inférieurs à ce qu’ils étaient il y a un an. Les pays riverains de la mer Noire, qui totalisent le tiers des exportations mondiales, ont eu des conditions climatiques très favorables et engrangent de très bonnes récoltes: c’est le cas de la Bulgarie, la Roumanie et l’Ukraine, qui bénéficie de quotas sans droits de douane pour accéder au marché de l’UE. La Russie, en particulier, sera le premier acteur sur le marché avec une récolte très importante. Ce pays, qui auparavant exportait tôt par besoin de trésorerie et par manque de capacité de stockage, a amélioré sa logistique et peut dorénavant exporter toute l’année. Reste à voir si la logistique ferroviaire, depuis les plaines intérieures jusqu’aux rives de la mer Noire, suivra en cas d’hiver rigoureux. Toujours est-il que la Russie a fait du commerce des céréales une priorité stratégique.
Ce ne serait pas le cas de la France?
P.H.: On aimerait que l’État français, qui ne ménage pas ses efforts pour exporter Rafale et Airbus, mette la même énergie quant à l’exportation de céréales, qui participe positivement à la balance commerciale. Car nous devons trouver des débouchés pour notre abondante récolte. Pour l’instant, le tarif du blé français est très bien positionné. Ce n’est d’ailleurs pas une bonne nouvelle pour les producteurs, mais la filière sait qu’il faut réaliser un bon début de campagne et ne pas se laisser distancer. Mais c’est encore l’Ukraine qui mène la danse, ayant besoin d’exporter rapidement, tandis que la Russie ne met pas encore la pression à l’exportation, mais dispose d’importantes quantités disponibles.