Les céréales de la mer Noire sont devenues l’épouvantail des exportateurs français. Les productions russe et ukrainienne étaient il y a encore quelques années trop aléatoires pour représenter une menace. Trop de neige en hiver, pas assez de pluies au printemps et les volumes proposés à l’export diminuaient de moitié. Difficile alors de fidéliser des clients quand on propose du blé en abondance une année puis rien l’année suivante. Mais depuis, les exploitations et les filières se sont structurées et organisées. Quand une exploitation céréalière s’étend en moyenne en France sur une centaine d’hectares tout au plus, en Russie et Ukraine, elle est de plus de 1 000 ha. Avec les économies d’échelle qui en découlent et des prix extrêmement compétitifs sur le marché mondial. « Pour une tonne de céréales, le coût de production en France est au minimum 30 € plus élevé que celui de la mer Noire. Nous avons de ce fait un handicap économique important », souligne Frédéric Guillemin, directeur trading chez Soufflet Négoce (cf. ci-contre notre entretien).
En Russie, la montée en puissance est aidée par une volonté politique manifeste de Vladimir Poutine. Auparavant, l’économie russe était basée sur la production et la vente de l’énergie. Désormais, le gouvernement russe a fait de l’agriculture une priorité et veut mettre la main sur le commerce mondial des céréales. Pour ce faire, il a repris le contrôle de la production et des exportations. Le pays dispose de sols vierges, avec d’excellents potentiels. Au cours des dix dernières années, il est passé du 3e au 1er rang mondial des pays exportateurs.
Goûté et adopté
Il faut aussi noter la nette amélioration de la qualité des céréales russes. Elles viennent aujourd’hui marcher sur les plates-bandes des exportateurs français et s’ancrent au cœur de son fonds de clientèle: pays d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb. « Une fois que les acheteurs ont goûté à la qualité et à la régularité des productions russe et ukrainienne », observe un opérateur, « ils prennent conscience qu’ils peuvent se passer de leur fournisseur traditionnel qu’est la France. »
Enfin, le dernier atout des blés de la mer Noire est lié à l’énorme capacité de production. Il y a quelques années encore, Russie et Ukraine avaient des difficultés à fournir jusqu’en fin de campagne. Les prix montaient alors, pour la plus grande satisfaction des producteurs français qui, pour mieux spéculer sur ces marchés tiers, « retenaient » les céréales en attendant cette embellie des cours. Cette stratégie ne fonctionne plus. Concernant le seul blé, la Russie en produit plus de 80 Mt par an, l’Ukraine, 25 millions. Soit, à elles deux, trois fois plus que la production tricolore. Les volumes moissonnés sont tels qu’ils permettent d’approvisionner toute l’année, et ce avec la qualité régulière que demandent les meuniers d’Afrique du Nord et de l’Ouest pour produire une farine panifiable sans avoir à modifier les réglages selon les arrivages.