Avec l’article 4 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le législateur intègre en droit français la notion de préjudice écologique. Et consacre ainsi une notion dégagée par la jurisprudence au cours d’affaires spectaculaires (boues rouges de la Montedison, Erika, etc.). Le droit français de la responsabilité est ainsi complété par les articles 1386-19 à 1386-25 du code civil définissant le régime de la réparation de ce préjudice. Il faut noter que la numérotation de ces articles est appelée à évoluer avec la réforme prochaine de la responsabilité.
La notion et la réparation du préjudice écologique ont été dégagées par la jurisprudence. Pour ce faire, le juge a eu recours à divers fondements: responsabilité délictuelle de droit commun, troubles de voisinage, etc. L’étape la plus médiatisée de cette construction a été sans conteste, en droit maritime, la décision de la Cour de cassation du 25 septembre 2012 dans l’affaire de l’Erika. Pour certains, les décisions rendues dans ce dossier ont insuffisamment consacré l’existence d’un préjudice écologique distinct du préjudice moral des associations requérantes. Ces critiques ont conduit le Parlement à se pencher sur le sujet.
Mode d’emploi
La loi du 8 août 2016 définit les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée. Elle définit le préjudice écologique comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». En termes solennels, l’article 1386-19 dispose que « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Sont recevables à agir l’État, le ministère public, l’Agence française pour la biodiversité, les associations agréées, les collectivités territoriales et, plus largement, toute personne ayant qualité et intérêt à agir.
Le texte prévoit le principe d’une réparation en nature. Si cette réparation est impossible, des dommages et intérêts sont alloués au demandeur. Les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, éviter son aggravation ou en limiter les conséquences constituent un préjudice réparable au sens de la nouvelle loi. Preuve de la spécificité de cette matière, le délai de prescription est porté à 10 ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice écologique.
Un régime imparfait
En réalité, il ne s’agit pas d’une innovation juridique car plusieurs fondements (généraux ou spécifiques) permettent déjà la réparation du préjudice écologique. Outre les textes de droit commun, un dispositif de prévention et de réparation des atteintes à l’environnement est prévu par le code de l’environnement (articles L 160-1 à L 165-2). Ce dispositif, outre qu’il réserve à l’État le rôle de protecteur de l’environnement, présente des différences manifestes avec la nouvelle loi: compétence du juge administratif, dualité des régimes selon la dangerosité de l’activité, exclusion de la réparation des dommages aux personnes, etc. L’articulation entre les deux régimes prévue par l’article L. 164-2 modifié du code de l’environnement paraît toutefois insuffisante pour éviter leur chevauchement.
Le nouveau régime pose également des difficultés intrinsèques (voir ci-contre). Le code de l’environnement contient aussi des dispositions spécifiques en matière de lutte contre les pollutions en mer, et de multiples sources internationales régissent déjà cette question: convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1969 et ses divers protocoles, convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion des déchets, convention de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires (Marpol). La multiplicité des sources n’étant jamais gage de sécurité juridique, reste à voir comment elles pourront être coordonnées dans le respect des engagements internationaux de la France.
La réparation par priorité en nature est également source d’interrogation. Le texte ne prévoit pas de mécanismes ou de seuils précis. Là encore, il se distingue du code de l’environnement qui prévoit une gradation des mesures (primaire, complémentaire et compensatoire). Comment donner un prix à l’environnement et selon quels critères? L’adoption d’une nomenclature technique aurait pu constituer une bonne approche de la question. Et il eut été sans doute adéquat de réserver la perception des indemnisations uniquement à l’État ou à un fonds constitué à cette fin.
Les imperfections de cette loi confirment les mots visionnaires de Portalis à propos du code civil: en matière de législation « il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ». Les textes d’application de cette loi répondront peut-être aux interrogations.
13 ans de procédure
C’est le nombre d’années entre le naufrage de l’Erika et le jugement de la Cour de cassation.
Le 12 décembre 1999, le pétrolier Erika, construit en 1975 et affrété par le groupe Total, fait naufrage et se brise en deux au large de la Bretagne. Quelque 10 000 t de fioul atteignent les côtes dès le 23 décembre. Au final, 400 km de côtes polluées, 200 000 oiseaux disparus, 250 000 t de déchets. La cour de Cassation a condamné le groupe Total le 25 septembre 2012.
Des notions et définitions peu claires
Le nouveau régime pose également des difficultés intrinsèques. La notion de préjudice retenue est particulièrement large. Cette question a fait l’objet d’âpres débats. L’acception d’atteinte aurait pu être précisée à l’instar de la convention de Lugano qui emploie le terme d’« altération ».
Le seuil de mise en œuvre, aujourd’hui « atteinte non négligeable », est également peu clair. Le législateur aurait pourtant pu se référer à la directive de 2004 qui précise ainsi que le dommage environnemental est « une modification négative mesurable d’une ressource naturelle ».
La définition de l’environnement est de même insuffisante. Surtout, le juriste s’inquiétera de l’angle d’approche retenu. Le texte s’affranchit de la notion de faute pour se rapprocher d’une responsabilité objective. Si cette évolution se justifie au regard du principe de pollueur-payeur suggéré par la Charte de l’environnement, son application risque de poser des difficultés.