Abordage entre deux navires: ergonomie perfectible, pilote désorienté, plusieurs millions de réparations

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Le 3 décembre 2015, après préparation de la manœuvre entre le commandant et le pilote, le car carrier panaméen City-of-Rotterdam (140 m HT) sort de l’écluse d’Immingham à 19 h 59 et entre dans le chenal principal de navigation de l’estuaire du fleuve Humber. À 20 h 32, le VTS (Vessel Traffic System) constate que le navire est très au nord du chenal mais n’intervient pas. Deux minutes plus tard, le ferry danois Primula-Seaways (200 m HT) demande au VTS si le City-of-Rotterdam se dirige vers la zone de mouillage Hawke qui est effectivement au nord du chenal. Le VTS lui répond que le City-of-Rotterdam se dirige vers la haute mer. Ils sont à 2,8 milles nautiques l’un de l’autre, le car-carrier a une vitesse fond de 12,2 nœuds et fait route au 105°, le ferry, de 16,5 nœuds et fait route au 295°. Entre 20 h 37 et 20 h 38, les deux navires se parlent. Certifié pour conduire les plus grands navires, le pilote du City-of-Rotterdam répond qu’il tente toujours d’amener son navire vers le sud. Le ferry réduit sa vitesse surface à 9,4 nœuds. Le commandant du City-of-Rotterdam s’inquiète du développement de la situation. À 20 h 40, le VTS essaie sans succès de contacter le City-of-Rotterdam. Quelques secondes plus tard, son commandant reprend la main. À 20 h 40, les deux navires entrent en collision sur leur avant bâbord. Trois millions de dollars de réparation pour le ferry, deux mois de réparation pour le car-carrier. Pas de blessé, pas de pollution mais une sérieuse remise en cause des passerelles non conventionnelles.

Tous responsables

Selon la MAIB, le vent fort (40 nœuds) et le courant de marée poussaient le City-of-Rotterdam vers le nord du chenal. Durant les cinq minutes avant l’abordage, le pilote a subi une « distorsion de sa perception spatiale due à une illusion d’optique du mouvement relatif ». Le pilote avait bien conscience que le navire était bien plus au nord de la trajectoire qu’il devait suivre, mais il avait la perception que l’action entreprise permettait autant qu’il était possible de le faire, de ramener le City-of-Rotterdam vers le sud du chenal. Le pilote avait l’impression que le car carrier se dirigeait bien vers le sud alors que sa trajectoire « réelle » ne lui permettait pas de franchir le milieu du chenal. La MAIB reviendra longuement sur cette illusion d’optique.

Si tous les acteurs de cet abordage étaient parfaitement formés et expérimentés (non alcoolisés et suffisamment reposés), la MAIB regrette que les opérateurs du VTS n’aient pas été suffisamment fermes pour faire comprendre au pilote qu’il devait agir de façon plus agressive afin d’éviter l’abordage. Le manque de réaction de la part des officiers présents sur la passerelle du City-of-Rotterdam montre la « surconfiance » qu’ils accordaient au pilote et un dysfonctionnement dans la gestion des ressources disponibles. Cette surconfiance a contribué à de nombreux accidents, souligne la MAIB. Enfin, bien que la passerelle du Primula-Seaway s ait bien identifié le risque d’abordage et fait ce qu’il fallait pour connaître les intentions du pilote, une réduction plus franche de la vitesse aurait dû être décidée plus tôt. Par contre, toute modification de trajectoire entrainait un risque.

Une passerelle peu réglementaire

La MAIB note que pendant que le City-of-Rotterdam et son jumeau étaient en construction au Japon, ils ont été immatriculés au Panama. État qui déléguait ses prérogatives au Bureau Veritas (BV), lequel était également la société de classification choisie par l’armateur.

Pour améliorer l’aérodynamisme de ses navires, le chantier a conçu une passerelle semi-circulaire: toutes les vitres étaient orientées vers l’arrière (comme un pare-brise de voiture) contrairement à la réglementation Solas qui stipule que les vitres doivent être orientées vers le bas afin de réduire l’importance des reflets lumineux. Toutes les sources lumineuses avaient donc été éloignées des vitres afin de limiter les reflets, permettant ainsi la délivrance du certificat d’exemption aux exigences Solas v/22 1.9.1. En outre, une seule vitre était dans l’axe longitudinal du navire.

Sur chaque bord se trouvait une VHF, située juste en dessous d’une vitre orientée à 33° de part et d’autre de l’axe longitudinal du navire. Ce qui est déconseillé par le chapitre iv/6 de Solas. Il est apparu que le pilote est resté longtemps devant la vitre tribord.

Selon les témoignages recueillis par la MAIB auprès de « nombreux » pilotes des différents ports fréquentés par le City-of-Rotterdam et son jumeau, ces navires étaient considérés comme « déconcertants » ou « inconfortables » à piloter. Les pilotes ont développé des « stratégies » d’adaptation: rester le plus longtemps possible devant le répétiteur du compas ou à côté de l’homme de barre, utiliser une VHF manuelle.

L’étude ergonomique de cette passerelle a montré que ces vitres, devant lesquelles aucune superstructure du navire n’est visible, perturbent facilement le sens de l’orientation de l’observateur. Celui-ci a le sentiment que le navire se dirige bien dans le direction du regard. Cette sensation est similaire à celle que ressent un passager d’une voiture immobile lorsqu’il voit un véhicule démarrer à côté. Il peut avoir l’impression de « reculer ».

Cette hypothèse a été confirmée sur simulateur en utilisant toutes les données conservées par les VDR des deux navires concernés. Le BV a été invité à attirer l’attention de l’IACS sur ce problème et sur la nécessité d’avoir une interprétation unique de la réglementation applicable.

En attendant que tout le monde retrouve ses esprits, le gestionnaire des car carriers a collé un peu partout dans la passerelle un avertissement selon lequel des « errors in judgement from « relative motion illusion » may occur if objects are viewed through side windows on the curved section of this wheelhouse ».

Le câble reliant les VHF à leur combiné a été allongé afin de permettre à un opérateur de communiquer tout en restant devant l’unique fenêtre qui est perpendiculaire à l’axe longitudinal du navire. Quand l’innovation est contreproductive.

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