Bien que la loi autorisant le gouvernement à légiférer dans cette matièreprécise que le futur texte aura pour objet de « moderniser et simplifier » l’octroi des autorisations domaniales, nombreux sont ceux qui craignent l’instauration d’une insécurité juridique.
L’objet de la préoccupation concerne l’organisation d’une mise en concurrence préalable à la conclusion de toute convention d’occupation du domaine public ou à son renouvellement. Au caractère aléatoire du résultat de la procédure s’ajoute la précarité des autorisations domaniales. Quelles sont les garanties offertes aux entreprises de manutention afin de protéger la pérennité de leurs activités?
La convention d’occupation du domaine public constitue un contrat administratif mettant à la disposition des entreprises de manutention une partie des quais et terre-pleins d’un port. Pour sa part, l’entrepreneur conclut avec les armateurs ou des chargeurs des contrats de droit privé en vue de la fourniture de prestations de service de plus ou moins longue durée.
Le renouvellement d’un contrat donne lieu à un nouvel acte juridiquement indépendant du précédent. Dès lors qu’un texte impose une mise en concurrence en vue de l’octroi d’une autorisation domaniale, la même procédure doit être suivie lors du renouvellement du contrat. C’est-à-dire que le titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public ne bénéficie pas d’un droit à son renouvellement. Ce principe a depuis longtemps été énoncé par la jurisprudence. En revanche, l’obligation de sélection des candidats lors du renouvellement éventuel du contrat est susceptible de résulter de la future ordonnance.
À défaut de renouvellement ou de la résiliation du contrat d’occupation du domaine public portuaire, le contrat conclu entre le manutentionnaire et son client deviendra caduc. Il y a donc bien interdépendance des contrats, situation qui n’est envisagée aujourd’hui par aucun texte législatif ou réglementaire.
Interdépendance des contrats
La jurisprudence judiciaire comprend diverses décisions portant sur l’interdépendance ou la connexité des contrats. Elle énonce le principe selon lequel les clauses inconciliables de contrats interdépendants sont réputées non écrites. On peut être tenté de soutenir que ce principe peut s’appliquer à des contrats de nature juridique différente. Mais l’absence de droit au renouvellement d’une autorisation d’occupation du domaine public portuaire fait partie des règles fondamentales de la domanialité publique et il ne semble pas possible qu’un tel principe s’efface devant des intérêts particuliers.
En réalité, le débat doit porter sur les contours de l’intérêt général. Les intérêts de l’autorité portuaire et ceux des manutentionnaires doivent se concilier. Des concessions réciproques peuvent être consenties par les parties dans le cadre d’un partenariat qui n’est pas expressément défini dans un contrat.
Le Conseil d’État considère que la valorisation du domaine public constitue une opération d’intérêt général. Afin de permettre sa mise en œuvre, il va jusqu’à admettre des dérogations aux principes généraux de la domanialité publique. C’est ainsi qu’à propos de l’implantation de mobiliers urbains sur le domaine public, la Haute juridiction a admis la légalité de l’exonération du paiement de la redevance qui incombe normalement à l’occupant du domaine public, et ce, en raison des aménagements réalisés dans l’intérêt de la population.
Après avoir observé que la valorisation du domaine public portuaire constituait une mission confiée par la loi aux Grands ports maritimes, le Conseil d’État a considéré qu’un établissement public portuaire avait la faculté de choisir le régime juridique d’occupation d’un bassin de radoub. En l’espèce, il pouvait accorder soit une autorisation d’occupation temporaire, soit une concession.
Mise en concurrence optionnelle
Certains se focalisent sur l’arrêt de la Cour de justice du 14 juillet considérant que le renouvellement des autorisations d’occupation du domaine public maritime constitue un service au sens de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, et devrait donner lieu à une mise en concurrence. Toutefois, il y a lieu de relever que cette directive ne concerne pas tous les services, et par ailleurs, la question tranchée par la Cour concernait un texte réglementaire publié avant la directive du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession.
En effet, le préambule de ce dernier texte dispose que « certains accords dont l’objet est le droit pour un opérateur économique d’exploiter certains domaines publics ou ressources publiques, en droit privé ou public, tels que des biens fonciers ou des biens publics, en particulier dans le secteur des ports maritimes, des ports intérieurs ou des aéroports […] ne devraient pas être qualifiés de concessions au sens de la présente directive ». C’est-à-dire qu’une simple mise à disposition d’espaces ou d’ouvrages portuaires n’implique pas nécessairement une mise en concurrence.
Il faut également observer que la loi autorisant legouvernement à légiférer par ordonnance ne vise l’obligation de publicité et de mise en concurrence que pour certaines autorisations d’occupation du domaine public. On constatera que la procédure ne concerne pas le domaine public, y compris portuaire, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.
L’objectif de « la meilleure valorisation possible du domaine public portuaire » doit se combiner avec celui d’assurer le fonctionnement normal du service public portuaire, lequel, selon le Conseil d’État, « inclut à la fois la sécurité des biens et des personnes et le bon emploi des outillages et ouvrages portuaires ». Si l’on veut sécuriser sur le plan juridique l’exercice de la manutention dans les ports maritimes, il n’y a pas lieu de soumettre obligatoirement le renouvellement des autorisations d’occupation du domaine public portuaire à la procédure de mise en concurrence (comme c’est déjà le cas pour les conventions de terminal), dès lors que celle-ci serait susceptible de compromettre la pérennité des contrats conclus entre les manutentionnaires et leurs clients et d’aboutir, le cas échéant, à la liquidation judiciaire des entreprises. Les règles du droit de la concurrence devraient permettre de sanctionner les pratiques frauduleuses et d’assurer une garantie suffisante pour les entreprises afin d’éviter les abus. Elles ne sauraient en aucun cas assurer une rente de situation aux entreprises locales non performantes.