Le domaine public est inaliénable et imprescriptible, indiquent les textes relatifs à ce sujet. Depuis le 15 ème siècle, les règles de la domanialité publique ont subi des modifications qualifiées de mineures, par l’organisation patronale des manutentionnaires l’Unim, lors d’une conférence de presse le 21 octobre. Aujourd’hui édictée dans le CG3P (code général de la propriété des personnes publiques), la domanialité portuaire n’a pas beaucoup évolué mise à part en 1994 lorsque le gouvernement a créé des droits réels sur les investissements réalisés dans le domaine public portuaire.
La loi Sapin 2, en discussion devant le Parlement, engage une réforme de la domanialité publique. Le gouvernement a prévu de légiférer par voie d’ordonnance, dès que l’Assemblée nationale lui en donnera l’autorisation. « Cela montre bien l’urgence à mener une telle réforme », a indiqué Xavier Galbrun, délégué général de l’Unim. Cette réforme est devenue nécessaire pour les manutentionnaires afin de garantir une certaine sécurité juridique de leurs investissements. « Dans une situation de forte concurrence entre ports européens, les autorisations domaniales en France sont attribuées aux entreprises pour développer leurs terminaux dans un contexte de très grande précarité et d’instabilité fiscale qui se révèlent éminemment contre-productives et préjudiciables au développement des investissements privés dans les ports », souligne l’Unim. Et Christian de Tinguy, président de l’Unim, a enfoncé le clou. « Nous investissons autant que le secteur public dans les ports mais nous n’avons aucune garantie. Nous pouvons voir notre concession résiliée du jour au lendemain pour des raisons d’intérêt général, et cela depuis la réforme de 2008. » Et une fois dehors, les manutentionnaires sont indemnisés uniquement sur la partie non amortie de leurs investissements.
À vouloir réformer, l’Unim met aussi en garde les autorités publiques à ne pas tomber dans l’excès inverse. « Envisager une solution comme la privatisation complète des ports ne semble pas non plus de nature à remédier aux inconvénients de la précarité des opérateurs portuaires », souligne l’Unim. Il s’agit donc de trouver une voie intermédiaire. Pour éviter de voir une réforme sans effets concrets pour les manutentionnaires, les professionnels portuaires souhaitent que la domanialité soit considérée au même niveau que dans les pays voisins. Ils préconisent notamment un système de tacite reconduction des amodiations et le retrait de la clause de résiliation pour intérêt général.
Améliorer la situation des investisseurs et des occupants
Afin d’apporter de l’eau à son moulin, l’Unim a fait appel à deux avocats de renom sur les questions de domaine public portuaire, Jean-Pierre Boivin, avocat au cabinet Boivin et Associés, et Noëlle Lenoir, avocate associée au cabinet Kramer Levin Naftalis & Frankel. Pour le premier, il convient d’améliorer la situation des investisseurs et des occupants. Il propose d’assouplir le mécanisme des droits réels pour faciliter le financement des opérations et notamment dans le cadre d’une reprise des biens. Pour cela, il préconise d’étendre les droits réels à toute personne qui opérerait ce bien, le primo-intervenant et ses successeurs. Ensuite, pour assurer la continuité des investissements tout au long de la concession, il propose que les réalisations en cours de concession soient entreprises avec l’accord de la personne publique. En cas de non-renouvellement, le nouvel entrant devra reprendre le tableau d’investissement en remboursant le capital restant dû par la partie sortante.
Ensuite, la question de la démolition de l’ouvrage en fin de concession doit être revue. Cela ne devrait se faire, selon les propositions de Jean-Pierre Boivin, que par un mécanisme de justification par l’autorité publique. Dans le cadre des règles actuelles, la gratuité de retour est reconnue, « mais joue un rôle de repoussoir », continue l’avocat. Il envisage que le nouvel entrant ait un droit d’entrée qui permettrait de dédommager le sortant.
Et pour continuer dans la même veine, Noëlle Lenoir a apporté le point de vue européen. Elle a rappelé que dans un arrêt de janvier 2016 la Cour de Justice des communautés européennes a considéré que les contraintes ne doivent pas être plus restrictives dans un pays au nom de la liberté de marché. Elle considère que dans ce cadre, il est important de passer d’une « approche régalienne à une approche économique ».
Face à ces propos, François Lambert, représentant le ministre lors de cette réunion, a pris note des différents points aborder. « Ces démonstrations théoriques doivent nous inspirer mais il faut garder à l’esprit la réalité du monde portuaire ». Il a promis un groupe de travail informel sur le sujet tout en rappelant que « le ministre Alain Vidalies s’est battu pour préserver le modèle portuaire français ».