En 2015, le BEAmer a recensé 172 événements de mer: dix ont donné lieu à un rapport d’enquête technique (RET) et six à un rapport simplifié (RES). L’immense majorité a donc été simplement enregistrée à des fins statistiques. Précautionneux, le récent directeur du BEA, Jean-Luc Le Liboux, précise que certains accidents ou incidents font l’objet d’investigations préalables ayant pour but de décider de l’opportunité d’ouvrir une enquête. Il est rappelé que le BEA est armé par neuf personnes (un directeur, un sous-directeur, trois enquêteurs et quatre personnels administratifs). Il peut faire également appel à une vingtaine d’enquêteurs vacataires présents sur le littoral. Son budget de fonctionnement n’est pas précisé.
Sur les 16 enquêtes ouvertes en 2015, 63 % concernent la pêche, 25 % le commerce, 6 % l’abordage commerce/plaisance et autant les navires de servitude.
Concernant les RET sur les navires de commerce est rappelée celle du talonnage du Mega-Express au départ de l’Île-Rousse le 31 mai 2014: « Absence de vigilance dans la conduite d’un navire à proximité d’un danger, à la sortie d’un port » (voir JMM du 29/5/2015). Le BEA a recommandé à la station de pilotage de Haute-Corse de « mettre en place […] une procédure visant à ce que le navire quitte la zone sous pilotage de l’Île-Rousse en ayant paré tous les dangers ».
L’incendie du navire à passagers Enez-Eussa-II à son arrivée à Brest le 1er mai 2014 n’a fait l’objet que d’un RES. Feu dans le collecteur d’échappement bâbord, dû à une « défaillance » de la turbosoufflante du moteur. L’équipage réagit « efficacement »: pas de blessé, feu éteint. Principal « enseignement », la fumée qui est parvenue dans le salon principal passagers provenait « vraisemblablement » d’une part de la porte d’accès à la machine, « fréquemment ouverte », et d’autre part des bouches de ventilation situées sur le pont supérieur et le pont cheminée. « Cette situation devrait susciter une réflexion de la part de l’armement. » Et peut-être de la part de l’État du pavillon, pourrait-on imaginer.
Autre enquête simplifiée pour un pétrolier chinois le Front-Njord, abordé le 13 juillet 2014 à l’entrée du chenal de Saint-Nazaire par le chalutier Moorea. L’homme de quart de ce dernier s’étant endormi. L’officier du pétrolier, navire privilégié, ne manœuvre qu’au dernier moment. Trop tard, l’homme de quart sur le chalutier est « sérieusement » blessé. Problème de durée de travail ne permettant pas un repos suffisant sur un navire de pêche. Que fait l’État du pavillon?
Autre collision devenant « banale »: le chalutier Elluma entre en contact avec le transporteur de diverses Arklow-Beach, navire privilégié. Les deux marins pêcheurs triaient le poisson à l’arrière; personne à la passerelle. Le lieutenant du cargo donne un coup de sirène mais manœuvre trop tardivement et insuffisamment. Deux blessés. Non-respect du Ripam; sans autre commentaire de la part du BEA.
Les fauteuils éjectant de l’Ogia
Le fort coup de tangage du navire à passagers Ogia le 1er mai 2015, aux abords de l’Île d’Yeu, a fait 16 blessés. Le navire naviguait à 16 nœuds par mer agitée sur houle, rappelle le BEA. Une vitesse de 12 nœuds « aurait contribué à rendre le voyage plus confortable et à limiter le risque que des passagers soient éjectés de leur siège ou des banquettes situées à l’avant ». Ces dernières « présentent un risque » par mer agitée. Un système permettant aux passagers de mieux se tenir « aurait limité les risques d’éjection ». Les fauteuils situés où les mouvements de plates-formes sont moins forts (centre et arrière) « pourraient être proposés aux passagers les plus vulnérables ». Aucune précision sur les actions menées ou non par l’armateur ou l’État du pavillon.
Encore plus étrange, le BEA estime que l’incident machine survenu à bord du câblier français Île-de-Sein en mai 2015, lors de l’escale à Honolulu, est dû à deux « erreurs » de manipulation. Fuite de vapeur de fioul sous pression sur l’échappement du diesel-alternateur en service (ce qui rappelle la cause de l’incendie de la salle des générateurs du Boréal; JMM du 22/7). Ces erreurs « pouvaient être dues à la fatigue d’une équipe machine embarquée la veille, après un long voyage ». Heureusement que l’équipage a correctement réagi grâce aux exercices de sécurité « régulièrement pratiqués ». L’armateur n’est-il pas responsable de l’organisation du travail à bord?
Lors d’un accostage en août 2014, le navire de recherche pétrolière français Princess (CGG) ne peut pas stopper son erre et aborde en marche arrière l’avant du paquebot Mein-Schiff-1 qui est à quai, à Bergen. Enseignement: « Dans le cas d’une manœuvre effectuée dans un port où il est difficile voire impossible de mouiller, il est préférable de prévoir l’assistance d’un remorqueur ». Observation constructive.
Notons que contrairement à son puissant homologue britannique, la MAIB, le BEAmer ne précise pas les suites qui ont été réservées à ses recommandations. Savoir ce qu’ont fait ou non l’administration – ici, purement française –, les armateurs ou leurs bords, pourrait permettre de savoir si un BEA sert à quelque chose. En effet, tirer des enseignements (pertinents) et émettre des recommandations, c’est bien. Les faire mettre en œuvre, c’est mieux.