Le transport maritime et les activités portuaires n’échappent pas à ce mouvement, notamment dès lors qu’il facilite la prise de décision et permet d’affronter plus efficacement la concurrence. À l’origine, le droit « souple » émanait du droit international et du droit public, il connaît actuellement un prolongement en droit privé. Selon le vice-président du Conseil d’État, le droit souple « regroupe tous les instruments qui ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires, qui ne créent pas par eux-mêmes de droit ou d’obligation, contrairement au droit dur ».
La complémentarité du droit souple
Le droit maritime s’appuie sur un ensemble de dispositions internes et internationales, que vient compléter un dispositif de droit souple. À ce titre, on citera les incoterms qui sont des clauses types élaborées par la Chambre de commerce internationale et définissant les droits et obligations des acheteurs et vendeurs participant à des échanges internationaux et s’imposant aux parties aux contrats dont ceux de transport maritime qui s’y réfèrent.
Les lignes directrices adoptées par la Commission européenne, comme celles relatives aux ententes dans le transport maritime (caduques en ce qui concerne les conférences maritimes mais toujours applicables aux Vessel Sharing Agreement), sont considérées comme des prescriptions indicatives. C’est également le cas des codes de conduite adoptés par les entreprises. Toutefois, le code de conduite des conférences maritimes adopté par une convention internationale élaborée par la Cnuced avait une valeur normative. L’Union européenne (UE) l’a désormais rendu caduc en faisant disparaître les conférences maritimes touchant l’UE.
Des instructions ministérielles peuvent présenter un cadre incitatif pour les opérateurs concernés, c’est par exemple le cas de l’instruction du 3 octobre 1995 relative à l’aide à la consolidation et à la modernisation des entreprises françaises de transport maritime.
La convention-cadre sur les changements climatiques, résultant de la conférence COP 21 de Paris du 12 décembre 2015, constitue un bon exemple de droit souple puisque ce texte ne comporte aucune sanction s’il n’est pas respecté. D’ailleurs Armateurs de France, qui s’est félicité du résultat des travaux de cette conférence, a néanmoins précisé que l’OMI devrait prendre le relais pour réglementer les normes admissibles d’émissions par les navires de gaz à effet de serre.
Les limites du droit souple
Le cas du mémorandum d’entente est révélateur de l’incertitude qui règne quant à la limite entre le droit dur et le droit souple. On relèvera que ce dernier symbolisait à l’origine le droit M.O.U (Memorandum of Understanding). La principale critique formulée à l’encontre de ce dispositif est qu’il participe à la dégradation du droit et constitue un contournement des processus démocratiques. Toutefois, le droit souple peut se transformer en droit dur, c’est le cas du Mémorandum d’entente de Paris sur le contrôle des navires par l’État du port du 26 janvier 1982. Ce texte, pris en compte par plusieurs directives européennes, est devenu,selon la Cour de Justice, un accord-cadre s’imposant aux États membres.
Ce n’est pas le cas pour tous les mémorandums. Une circulaire du Premier ministre du 30 mai 1997 (toujours en vigueur) relative à l’élaboration et à la conclusion des accords internationaux précise que « dans leurs contacts avec des pays anglo-saxons, les négociateurs français peuvent se voir proposer des mémorandums d’entente ou memorandum of understanding. Ces instruments ne sont pas toujours considérés par les juristes de ces pays comme des accords internationaux, mais comme des engagements de bonne foi qui ne lient pas les signataires ».
Le Conseil d’État, dans une étude publiée en 2013, a souligné que le droit souple est « un droit qui n’emporte pas d’obligations par lui-même ». La notion de mémorandum d’entente ne permet donc pas de déterminer systématiquement si l’on est en présence d’un droit souple ou d’un droit dur. C’est l’existence ou l’absence de droits et d’obligations dans son contenu qui permet de désigner la catégorie à laquelle appartient le texte.
Certains grands armements maritimes proposent aux gestionnaires de certains ports la signature d’un mémorandum d’entente afin de définir une politique de développement des terminaux portuaires. La presse a largement relaté celui qui a été conclu entre CMA CGM et le Grand port maritime de La Réunion en présence du président de la République. Ce parrainage ne produit aucun effet de droit. La difficulté de ce type d’accord réside dans le nécessaire respect des attributions des organes de l’établissement portuaire, tant sur le plan juridique que budgétaire. Lorsqu’un Grand port maritime envisage la conclusion d’un tel mémorandum d’entente, alors qu’il est soumis à un conseil de coordination interportuaire, celui-ci doit être préalablement consulté pour avis. En tout état de cause, le mémorandum doit être compatible avec le projet stratégique de l’établissement.
Si le mémorandum d’entente va au-delà de la simple déclaration d’intention, il fera partie du droit dur, c’est-à-dire qu’il contient des droits et obligations pour les signataires. Encore faut-il que, dans le cas des Grands ports maritimes, il ne contrevienne pas à la procédure d’attribution des conventions de terminal ou des concessions.
Droit « flou », droit « doux », droit « mou »
La doctrine désigne par des qualificatifs imagés les nuances du droit souple. Ainsi, selon le professeur C. Thibierge, le droit souple comprend le droit « flou » qui est souple dans son contenu, le droit « doux » qui ne comporte pas d’obligation et le droit « mou » qui n’implique pas de sanction. Au-delà de cette approche originale, il y a parfois des enjeux économiques importants dont le Conseil d’État a pris conscience. Dans un arrêt rendu par son assemblée générale le 21 mars, il a jugé que certaines mesures de droit souple peuvent être déférées au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’elles revêtent le caractère de dispositions générales et impératives.
Si la conciliation des intérêts des opérateurs privés et des personnes de droit public gestionnaires d’infrastructures de transport est incontournable, elle doit intervenir dans le respect des principes et des règles de droit dur!