Diffusé fin juillet, le rapport annuel de la MAIB dresse, sans surprise, le bilan de l’année 2015. Les événements de mer signalés sont au nombre de 1 057, contre 1 270 l’année précédente. Vingt-cinq enquêtes démarrées (31 en 2014), et, dès le 2e paragraphe de la synthèse rédigée par l’inspecteur en chef Steve Clinch, un premier tir de semonce: si l’enquête concernant la « prise » d’un sous-marin britannique par le chalut du Karen’s n’est toujours pas terminée quinze mois après son ouverture, « cela est dû à l’attitude non coopérative de la Royal Navy ».
En 2015, le BEAmer britannique a émis 71 recommandations adressées à 79 organisations. Soixante-dix sont à prendre en compte car la 71e concerne plusieurs entités, et 83,5 % ont été acceptées. Certaines ont déjà été mises en œuvre, d’autres doivent l’être prochainement. Sept ont été partiellement acceptées.
Djebel Ali « unsafe »?
Cinq recommandations ont été rejetées dont quatre par des administrations nationales (dont la Maritime and Coastguard Agency pour des dossiers pêche et d’accidents en eaux intérieures). DP World, gestionnaire du port de Djebel Ali, a refusé de prendre en considération l’invitation de la MAIB à améliorer l’efficacité de la gestion de son trafic portuaire ainsi que de son pilotage. La MAIB était intervenue à la suite d’une collision franche entre le porte-conteneurs Ever-Smart (Royaume-Uni, 300 m de long, 48 564 t conteneurisées) qui sortait du port à 12 nœuds et l’Alexandra-1 qui y entrait un peu précipitamment, avec 114 000 t de condensats. Étrave contre étrave, les cloisons d’abordage ont résisté et les cuves sont restées étanches. Outre des comportements perfectibles des deux commandants, la MAIB a mis en cause les réactions et/ou l’absence de réactions du pilote qui était à bord de l’Ever-Smart et de l’officier de quart au VTS (voir JMM du 12 février, p. 12). Elle a donc recommandé à DP World de reprendre ses procédures de gestion du trafic, d’améliorer les communications avec les pilotes et d’évaluer « avec soin » les besoins de formation de ses officiers, etc. « La MAIB a pris note de la position du port de Djebel Ali et ne procédera à aucun suivi car ce port est en dehors de sa juridiction. »
Que le BEAmer britannique ne puisse rien faire de plus, certes. Mais tel n’est pas le cas de la communauté maritime internationale. Les assureurs pourraient, par exemple, menacer de déclarer ce port – le plus important du Moyen-Orient avec près de 20 000 mouvements par an – « unsafe ». D’autant que ce n’est pas la première collision. En février 2009, à sept milles du port, un petit porte-conteneurs a abordé un transporteur d’environ 30 000 t de condensat. Une cuve au moins ouverte, un début d’incendie, deux blessés. D’autres moyens, plus indirects, pourraient faciliter une meilleure prise en compte des recommandations de la MAIB car DP World est gestionnaire de terminaux à Southampton et à London Gateway.
Kyokuyo Cny Ltd réagit insuffisamment
À la suite d’un accident lors d’un exercice de mise à l’eau d’un canot de sauvetage dans le port de Southampton (exercice fait à la demande du Port State Control compte tenu du nombre de déficiences déjà identifiées), la MAIB a recommandé à l’exploitant Kyokuyo Cny Ltd de mettre en place au plus tôt un plan pour améliorer substantiellement, à bord comme à terre, la culture de la sécurité. Cela devait passer par les entraînements réguliers aux différentes situations d’urgence susceptibles de se produire, la tenue sincère de tous les registres existant à bord, y compris celui des accidents du travail. Ces derniers devaient faire d’objet d’une enquête. Et les conclusions, être transformées en actions concrètes et pertinentes. La MAIB estime que la compagnie n’a pas répondu correctement à ses invitations précises. « Le risque d’accident du même type est donc resté important. » Le BEA ne semble pas envisager de suite. Et pourtant, Kyokuyo Cny Ltd est un grand groupe japonais coté en Bourse, spécialisé dans la pêche et la préparation des produits de la mer, bien sûr doté d’un code d’éthique rigoureux et prompt à défendre le développement durable. Cibler les PSC sur les navires reefers de Kyokuyo pourrait faciliter une meilleure prise en compte des invitations de la MAIB.
Activer ou non les alarmes en côtier
Un débat contrasté semble exister entre le BEAmer britannique et Condor Marine Services Ltd au sujet de la pertinence d’activer ou non des alarmes du système de visualisation des cartes électroniques et d’information (ECDIS) en navigation côtière. La MAIB souligne qu’il « existe des preuves issues d’autres enquêtes indiquant qu’une grande partie du secteur maritime a peu confiance dans l’utilité et la fidélité des alarmes de l’ECDIS. Elles sont donc désactivées lorsque le navire est en zone côtière afin de ne pas distraire l’officier de quart ». Il y a donc là un vrai problème d’emploi d’un système qui devient progressivement le principal système de navigation. La MAIB a trouvé un moyen de maintenir la conscience des situations passées et d’illustrer la vitesse à laquelle la réglementation maritime internationale évolue. Elle dresse le calendrier des mises en œuvre, totales ou partielles, des recommandations formulées depuis 2007.
Une vingtaine de pages sont consacrés aux 141 blessés et deux décès survenus à bord de navires de commerce britanniques, en dehors de l’exploitation même du navire. Le type de navire, le lieu de survenance de l’accident, la partie du corps touchée, la/les causes de l’accident sont répertoriés. Les chutes verticales et horizontales ont fait 51 blessés, 41 blessures ont concerné la main, doigts compris. Etc. Les 35 accidents du travail sur des navires de pêche britanniques sont également analysés.
Des moyens conséquents
Le business plan 2016/2017, paru en mars, rappelle que la MAIB emploie 36 fonctionnaires, tout compris. Le budget 2016/2017 est de presque 4 M£ (environ 4,7 M€) dont 70 % en salaires et charges.
Le document rappelle que sa création remonte à 1989, lorsqu’à la suite du désastre du Herald-of-Free Entreprise (1987), il est apparu nécessaire de bien séparer les fonctions d’enquête sur les événements de mer de celles concernant la définition des normes et leur mise en œuvre. La MAIB est une unité, opérationnellement indépendante, du ministère des Transports. Lorsque la MAIB formule une recommandation à une partie concernée, privée ou publique, celle-ci a 30 jours pour préciser si elle l’accepte en tout ou partie, et détailler le calendrier de sa mise en œuvre.
La sécurité maritime: un bon business plan
Selon le business plan 2016/2017, la MAIB entend maintenir sa position de leader international en faisant un meilleur usage de ses ressources. En effet, elle forme des enquêteurs étrangers à titre payant et décrypte, toujours à titre payant, les Voyage Data Recorders (VDR) qui lui sont confiés. Il faut savoir, explique une source française, que les membres de l’OMI ont laissé la dizaine de fabricants de VDR développer leur propre logiciel, pas ou peu compatibles les uns avec les autres. De sorte qu’un BEA doit disposer d’une dizaine de logiciels pour pouvoir décrypter les données de tous les types de VDR; sans même évoquer les mises à jour. Ces logiciels ne sont pas nécessairement gratuits pour les BEAmer.
Aussi la MAIB et son homologue nord-américain le NTSB ont-ils confié à l’entreprise britannique Avenca le soin de concevoir un système complet capable de lire et d’agréger toutes les données numériques disponibles sur un navire et dans son environnement (VDR, ECDIS, AIS, VTS, GPS…), quel que soit le fabricant de l’équipement. La Marine Accident Data Analysis Suite (Madas) a vocation à fournir une « image » la plus complète des circonstances de l’accident. Elle comprend en outre une base de données de navires et intègre une cartographie marine. Ainsi, la trajectoire du ou des navires, la hauteur d’eau, le courant, le vent, le cap suivi, la vitesse du/des navires, les images radar, les conversations à la passerelle, les éventuels échanges radio, la survenance d’alarmes, la position des portes étanches, par exemple, sont-ils disponibles sur un seul écran.
Le Madas est vendu au moins 10 000 €, se souvient l’expert français. S’y ajoutent le prix de la formation initiale et celui de la formation continue, au moins une fois par an. Que les BEAmer américain et britannique aient été assez malins pour tirer un bon parti d’un manque à virer de l’OMI n’imposant pas une compatibilité complète des différents équipements électroniques présents sur un navire et dans son environnement est une chose. Que le contribuable de l’État d’immatriculation et celui de l’État côtier non anglo-saxons en assument les frais en est une autre. Il n’est pas nécessaire de continuer à reproduire, dans le secteur maritime professionnel, les guerres de formats qu’a connu l’électronique grand public – VHS, Betamax, V2000 pour les magnétoscopes des années 1980 ou, plus récemment, la technologie Bluray contre celle HD-DVD pour les disques vidéo – ou celle présente à bord des bateaux de plaisance. Si l’OMI ne bouge pas sur ce point, la Commission européenne pourrait judicieusement menacer, une nouvelle fois, d’émettre sa propre réglementation exigeant une totale interopérabilité des équipements électroniques ainsi qu’un logiciel unique d’extraction et de traitement des données enregistrées.
Dans la présentation de son business plan, la MAIB souligne que son directeur préside le forum permanent de coopération de la Commission européenne (PCF) visant à définir et développer une méthodologie commune à tous les BEAmer. Il est également l’actuel président du Marine Accident Investigator’s International Forum (MAIIF), organisation sans but lucratif visant à la promotion de la sécurité maritime et à la prévention de la pollution marine par échanges d’idées.
Le second objectif de l’actuel business plan de la MAIB est de faire migrer son site Internet dans l’environnement du GOV.UK et de développer sa présence sur les indispensables réseaux sociaux.