Échouement du Hamburg: une croisière mémorable

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Le 4 mai 2015, le paquebot Hamburg, immatriculé aux Bahamas, part de Bremerhaven avec 297 passagers et 164 membres d’équipage pour faire le tour de la Grande-Bretagne, en commençant par une escale à Londres. Quelques heures plus tard, son hélice tribord se prend dans un filet de pêche dans l’estuaire de la Tamise. L’escale de Londres est annulée au profit de Southampton où des plongeurs débarrassent l’hélice de son filet.

Le 10 mai, le navire quitte Dublin en direction de la baie de Tobermory (île de Mull, Écosse). Avis de coup de vent en mer d’Irlande de sud-ouest se renforçant à partir de midi, le 11 mai. Le commandant, 57 ans, décide de rallier la baie le plus vite possible pour s’y abriter avant la dégradation; ETA 12 h.

Bien reposé, précise la MAIB, le commandant est à la passerelle à 7 h du matin. Il est informé peu après 8 h 40 par la Tobermory Harbour Association (THA) que deux petits paquebots sont déjà au mouillage et que le Hamburg devra donc attendre leur départ prévu vers midi. À 10 h 45, les ancres sont parées à être mouillées. La passerelle passe en mode rouge (ne pas déranger). La barre est manuelle. Le premier paquebot sort de la baie à l’heure prévue. Le second commence à relever son ancre vers 13 h 48. Le Hamburg (5,4 m de tirant d’eau arrière) se dirige vers ce paquebot. À 13 h 21, l’officier de quart et l’élève-officier indiquent sur une carte papier la position du Hamburg. L’élève estime qu’il se trouve plus près du haut-fond New Rocks. Sans consulter l’officier de quart, il efface sa position, l’estimant fausse. À 13 h 23, la bouée de New Rocks est sur l’avant bâbord du paquebot. Durant deux minutes, l’officier de quart est à la VHF avec deux autres navires qui arrivent également sur zone, à plus grande vitesse. Il faut organiser les passages. Le commandant du paquebot fait réduire la vitesse pour laisser passer trois navires. Ils sont tous à moins de 0,2 mille les uns des autres. Le commandant est préoccupé par la situation de la zone et la proximité du haut-fond. À 13 h 28, il demande à l’officier de sécurité qui vient d’arriver à la passerelle de veiller la bouée New Rocks. Le paquebot s’y frotte 21 secondes plus tard à la vitesse fond de 6,37 nœuds. Le commandant fait manœuvrer le paquebot pour sortir de la zone. Les deux moteurs débraient automatiquement. Le bâbord s’arrête même. Le générateur de secours démarre, réalimentant la plupart des instruments de navigation. De multiples alarmes sonnent à la passerelle et au PC machine, mais pas l’alarme générale ni celle concernant uniquement l’équipage. Ce qui peut être inspecté visuellement l’est, mais sans utiliser les checklists « échouement et communication ». Le chef mécanicien informe que le moteur bâbord s’est arrêté et qu’il y a un « problème » avec l’hélice bâbord. Pas d’entrée d’eau détectée.

À 13 h 45, le paquebot se présente devant la baie de Tobermory où de nombreux petits bateaux sont au mouillage. Le commandant décide donc de mouiller à l’entrée de la baie, loin de la zone prévue avec la THA, bien mieux abritée. À 14 h 01, il mouille plus de 135 m de chaînes. Hauteur d’eau indiquée sur la carte, 61 m. Le mouillage ne tient pas. Le paquebot dérive vers l’île Calve. À 14 h 22, l’ancre est de nouveau à bord, le paquebot part vers le large. Il est passé à moins de 0,1 mille de l’île. Deux minutes plus tard, le commandant essaie de joindre la personne désignée (DPA) chez V Ships Monaco pour l’informer. Pas de DPA, ni de personne de permanence, souligne la MAIB. Il contacte alors l’ingénieur d’astreinte du fréteur coque nue du navire, Hamburg Cruise SA. Ils conviennent que le paquebot doit se rendre à Belfast pour une inspection sous-marine. V Ships est informé par l’ingénieur à 15 h 05. « Ni le commandant, ni HCSA, ni V Ships n’informent la garde-côte britannique, la THA ou la MAIB de l’événement de mer », souligne-t-on.

Allo maman, bobo!

À 18 h 20, le centre de coordination des recherches en mer de Dublin est informé de l’existence d’un problème par la mère d’un membre d’équipage. Ce dernier l’avait appelée pour lui en faire part. La communication s’étant soudainement interrompue et craignant le pire, la mère avait alerté la garde-côte. Le MRCC de Dublin relaie l’information à celui de Belfast qui appelle le Hamburg. Le commandant ne peut que confirmer et indique qu’il n’a pas besoin d’assistance.

« Dans les pires conditions météo, de nuit, avec une seule hélice en fonctionnement, le paquebot s’est battu pour rejoindre Belfast et son commandant a choisi d’attendre en mer d’Irlande une accalmie avant de poursuivre sa route. »

Après des réparations d’urgence à Belfast, le navire rallie, à vide, Bremerhaven, le 30 mai, pour y être réparé. Il reprend le service le 10 août.

Pas d’équipe de passerelle

Durant une dizaine de pages, la MAIB « charge » le commandant pour, notamment, sa piètre gestion des ressources humaines disponibles. La MAIB n’a émis aucune recommandation mais a longuement décrit les équipements de navigation présents à bord, en particulier l’ECDIS (simple aide à la navigation dont les alarmes n’étaient pas activées), les procédures d’exploitation (Safety Management System, SMS, et formation à la gestion des ressources humaines) qui ont peu été respectées ainsi que les reports irréguliers de position du navire sur la carte papier. Le BEA s’attarde également sur les audits réalisés à bord afin de vérifier la bonne application des procédures. Le VDR n’est pas oublié: plus de cinq heures après avoir touché, le commandant demande à l’officier « électrotechnique » de sauvegarder les données du voyage data recorder. C’était la première fois qu’il réalisait cette opération et il n’était pas sûr d’avoir bien suivi le mode d’emploi. Le SMS ne prévoit aucune sauvegarde du VDR, que cela soit pour des raisons d’entraînement ou pour des audits. Les données analysées par la MAIB montrent que si l’anglais était la langue de travail du bord, plusieurs conversations ont été tenues dans d’autres langues (sans précision). La qualité des enregistrements audio est « très mauvaise », rendant la compréhension des conversations souvent impossible et gênée par de la musique. En effet, la passerelle était équipée d’une petite chaîne Hi-fi qui a été démontée par la suite. Elle était donc en fonctionnement avant et probablement après l’échouement.

En résumé, la MAIB a conclu que l’échouement sur un haut-fond identifié est la conséquence directe du fait que « l’équipe de passerelle » ne s’est pas rendu compte que le navire s’approchait de la bouée en suivant une route dangereuse. Plusieurs manquements « significatifs » ont directement contribué à cette mauvaise conscience de la situation. « En particulier », la préparation de la route à suivre jusqu’à Tobermory « manquait de précision ». Cette préparation n’a pas été modifiée alors que le paquebot était en retard. La qualité du suivi de la route par l’élève-officier était inférieure à la norme et n’était pas supervisée par l’officier de quart. Il était prévisible que cet officier utiliserait l’ECDIS plutôt qu’une carte papier pour sa navigation, mais aucun mécanisme n’était en place pour s’assurer que l’ECDIS serait effectivement utilisé (d’autant que l’instruction de V Ships était d’utiliser la carte papier en priorité).

L’équipe de passerelle n’a pas utilisé les outils de la gestion des ressources en passerelle (BRM), avant comme après l’échouement, malgré l’obligation qui lui en était faite par le système de gestion de la sécurité et le fait que le commandant et l’officier chargé de la navigation avaient suivi une formation BRM. « En particulier »:

– les « individus » présents en passerelle « travaillaient seuls, sans reconnaissance de leurs responsabilités individuelles et ainsi ont été incapables de fournir au commandant l’assistance dont il avait besoin pour conserver une bonne conscience de la situation;

– aucune action ou décision, avant ou après l’échouement, n’a été contestée par qui que ce soit à la passerelle;

– conséquence d’une communication pauvre, l’équipe de passerelle a été incapable de réagir avec efficacité aux défis de la situation qui se développait en approche du haut-fond de New Rocks. »

Lorsque le paquebot est entré dans le bras de mer de Mull, il manquait du personnel à la passerelle, même si les fonctions des officiers avaient été clairement précisées, pour assister le commandant.

Deux facteurs ont directement contribué à cet accident, ajoute la MAIB: le commandant ne demandait pas à ses officiers un haut niveau de pratique de la navigation. L’officier de quart a placé le paquebot dans une position « intenable » lorsqu’il a cédé le passage à d’autres navires, sans tenir compte du Règlement international pour la prévention des abordages en mer.

Un cas d’étude pour les équipages de V Ships

Plaidant coupable, le commandant a été condamné pour avoir insuffisamment préparé sa navigation en direction d’un lieu qu’il n’avait jamais fréquenté (aucune discussion avec les officiers de pont sur la meilleure façon d’entrer dans la baie de Tobermory) et omis de prévenir les autorités après l’échouement. Le montant de l’amende n’a pas été précisé par la MAIB. Il commandait le Hamburg pour la 3e fois et était à bord depuis juste un mois. Sa formation à la gestion des ressources en passerelle (BRM) remontait à octobre 2010. L’officier de quart au moment de l’échouement était italien. C’était son 3e embarquement sur ce paquebot. Il n’avait pas suivi de formation BRM. L’autre lieutenant, 45 ans, polonais, était chargé de la préparation de la navigation (formation BRM effectuée, 2e embarquement à bord).

La MAIB note que, depuis, le groupe V Ships a sensiblement renforcé ses efforts en matière de formation continue à la gestion des ressources humaines à bord de tous les navires qu’il gère. Le VDR a été changé et ses enregistrements sont maintenant pris en compte par les audits qui sont menés à bord. Cet accident est devenu un cas d’étude pour tous les équipages armant les navires gérés par V Ships.

La Tobermory Harbour Association, qui n’était pas une autorité portuaire et ne disposait d’aucune capacité d’assistance à un navire en difficulté, ni de moyens juridiques pour organiser les mouvements de navires, a fait les démarches nécessaires pour devenir une autorité portuaire et examine les possibilités de respecter les obligations du Code de sécurité des ports maritimes (PMSC).

Bref, cet événement « sérieux » devrait permettre à tout le monde de réduire, une nouvelle fois, les trous des tranches de gruyère qui illustrent le modèle de James Reason, expliquant la survenue d’accidents, quelle que soit leur nature. La MAIB a cependant pris soin de rappeler que l’accident mortel du Costa-Concordia était dû à un « poor BTM » (Bridge Team Management). Elle n’aborde pas la question de savoir pourquoi les procédures d’exploitation du Hamburg ont été peu suivies.

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