Étant victimes d’une frénésie législative et réglementaire, nous devenons des obsédés textuels au point d’oublier le principe fondamental de liberté. Tout ce qui n’est pas interdit est permis, même si la jurisprudence évoque souvent les exceptions à une interdiction. En tout état de cause, la liberté ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire.
Le code des transports parle de manière non exhaustive de certains régimes d’occupation du domaine public portuaire, dont les conventions de terminal, mais la jurisprudence précise discrètement que le gestionnaire de ce domaine dispose, sauf dispositions expresses contraires, de la liberté de choix du régime domanial. En d’autres termes, dans les Grands ports maritimes, la convention de terminal ne constitue pas un contrat qui s’impose obligatoirement à l’autorité portuaire. Il convient cependant d’ajouter que cette liberté domaniale doit respecter notamment la liberté du commerce et de l’industrie, et le droit de la concurrence.
Depuis quelques années se développe la pratique du mémorandum d’entente (memorandum of understanding) signé entre des autorités portuaires et des armements, et ayant pour objet de définir les objectifs des parties. Sur le principe, cette démarche est parfaitement légale. Cependant, si la convention contient des obligations pour les parties, il ne s’agit plus de droit « souple » mais de stipulations contraignantes. En cas de contentieux, il y a lieu de rappeler que le juge n’est jamais tenu par la qualification donnée par les parties à un acte ou une situation. Le droit de l’Union européenne est susceptible, selon les circonstances, de s’appliquer à la gestion portuaire. Toutefois, on observe que le préambule (point15) de la directive n° 2014/ 23/UE du 26 février 2014, relative à l’octroi des concessions, précise que l’occupation du domaine public portuaire ne relève pas obligatoirement de ce régime.
La complémentarité des conventions internationales
Notamment dans certains États de l’Ouest africain, les opérateurs étrangers hésitent à investir dans les terminaux portuaires à cause de l’insécurité juridique qu’ils croient déceler en raison de l’absence ou de l’imprécision des textes législatifs et réglementaires.
Les autorités portuaires font souvent une interprétation rigide des textes domaniaux qui n’est plus, de nos jours, compatible avec l’économie de marché.
Il convient cependant de rappeler que les États littoraux africains de l’Ouest font partie des États Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP) signataires de l’Accord de Cotonou consacrant un partenariat avec l’Union européenne et ses États membres, dont les principes et les objectifs devraient encourager une gestion libérale des terminaux portuaires. Selon l’article 21 de cet accord, « la coopération soutient, au niveau national et/ou régional, les réformes et les politiques économiques et institutionnels nécessaires à la création d’un environnement propice à l’investissement privé et au développement d’un secteur privé dynamique, viable et compétitif ». Dans toutes les constitutions des États démocratiques, il est expressément prévu que les conventions internationales ont une valeur juridique supérieure au droit interne, sous réserve de réciprocité.
Les États de l’Afrique de l’Ouest ont par ailleurs créé l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont le préambule du traité confirme l’orientation libérale de cette institution en affirmant que les États membres doivent « se conformer aux principes d’une économie de marché ouverte, concurrentielle et favorisant l’allocation optimale des ressources ». L’article 4 dudit traité dispose que parmi les objectifs poursuivis il y a la nécessité de « renforcer la compétitivité des activités économiques et financières des États membres dans le cadre d’un marché ouvert et concurrentiel, et d’un environnement juridique rationalisé et harmonisé ». En conséquence, la gestion du domaine public portuaire doit s’inscrire dans ce contexte.
Dans une économie mondialisée, le droit doit concilier les contraintes justifiées par des motifs d’intérêt général et la liberté d’entreprendre. La sécurité juridique ne doit toutefois pas être une justification pour empêcher l’innovation.
Place à l’innovation juridique
Le droit est à la fois un art et une science. On ne doit pas tout attendre des textes et de la jurisprudence. Le code civil énonce un principe qui s’adresse aux magistrats mais qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble des juristes. C’est-à-dire que même en cas de silence, d’obscurité ou d’insuffisance de la loi, il faut trouver une solution aux problèmes juridiques qui sont posés.
Dès lors qu’il n’y a pas d’atteinte aux prescriptions législatives ou réglementaires ou à un principe général du droit, l’innovation n’est pas prohibée, bien au contraire, dès qu’elle répond à un objectif d’intérêt général. C’est ainsi que le Port autonome de Dunkerque (aujourd’hui Grand port maritime) avait institué une convention d’exploitation de terminal (devenu convention de terminal) qui est désormais reprise dans le code des transports.