Son confrère bordelais ayant posé sac à terre, Pierre Albertini est désormais le seul en France à exercer la fonction d’expert répartiteur des avaries communes, contre 15 experts recensés il y a une trentaine d’années. Un métier méconnu, ingrat et guère populaire puisqu’il consiste à solliciter des garanties financières auprès des chargeurs dont le fret était embarqué sur un navire déclaré en avarie commune par le commandant et son armateur. « C’est un sale boulot », lâche-t-il devant des juristes marseillais réunis le 14 mars à Marseille lors d’une conférence organisée par l’Institut méditerranéen des transports maritimes.
Avocate au cabinet H. Mc Lean & F. Le Borgne, Helen Mc Lean illustre l’usage de cette procédure avec l’affaire de l’incendie à bord du MOL-Renaissance. « La marchandise subissant l’inondation des cales d’un navire dans le cadre de la lutte contre un incendie est déclarée en avarie commune. Elle est à distinguer de la marchandise incendiée qui fait l’objet d’une avarie particulière », explique-t-elle tout en précisant que les chargeurs peuvent contester cette procédure devant les tribunaux.
Faute commerciale de l’armateur
Ainsi, ces derniers ont eu gain de cause face à CMA CGM dans l’affaire du Normandie échoué au large de Singapour en 2001. Le tribunal a retenu la faute commerciale de l’armateur. « Le tribunal a admis que la hauteur du chargement à l’avant du navire était supérieure à celle généralement pratiquée et a entraîné une zone aveugle excessive qui a faussé l’appréciation des distances », précise Helen Mc Lean.
« L’avarie commune contribue à équilibrer l’économie du péril de la mer. Mandaté par l’armateur, j’explique aux chargeurs que celui-ci conservera la marchandise en gage tant que je n’obtiens pas une contribution provisoire, une garantie de l’assureur. Je dois donner tout de suite une indication de la valeur en incluant le prix du conteneur, de la marchandise détériorée et les dépenses admissibles. Pour les chargeurs insolvables, l’armateur dispose d’un droit de rétention et de la capacité de vendre les marchandises. Lorsque les formalités coûtent plus cher, l’armateur sait qu’il ne récupérera pas cette somme. »
Une dizaine de cas chaque année dans le monde
Et d’ajouter qu’un projet de modification de l’avarie commune au sein du Comité maritime international (CMI), visant à alléger les procédures, pourrait exonérer les chargeurs transportant des marchandises de faible valeur. Pierre Albertini note également une nette augmentation des clauses dites d’absorption (définissant au préalable une somme forfaitaire, un pourcentage de l’avarie commune ou une somme dont le montant varie selon les armateurs et pouvant atteindre 100 000 €).
Depuis les règles d’York et d’Anvers (1864 et 1877), le transport maritime a sensiblement évolué. Imaginez une avarie commune sur un porte-conteneurs transportant 18 000 boîtes. « Il peut y avoir de grands intérêts financiers en jeu, notamment avec ces très grands porte-conteneurs qui circulent aujourd’hui, et on se demande qui pourrait prendre en charge un tel risque financier en cas d’événement majeur. »
« Avec le gigantisme des navires, ces derniers embarquent un nombre colossal de connaissements. Sur ces navires, nous pouvons recenser jusqu’à 50 000 intérêts contributifs. Lorsque nous avons 8 000 garanties à demander, nous sommes une vingtaine de personnes à envoyer des mails, à expliquer aux chargeurs et à chiffrer. Les premiers jours c’est une horreur », raconte Pierre Albertini, gérant de NavyClaim, société spécialisée dans la gestion des sinistres.
Sur le sujet des avaries communes, la jurisprudence est peu abondante, précise Helen Mc Lean, face à une procédure qui tend à diminuer. « Nous avons très peu de dossiers d’avarie commune. L’augmentation de la taille des navires induit moins de transports. De plus, la sécurité du transport maritime s’est améliorée », conclut Pierre Albertini qui recense une dizaine de cas par an dans le monde.