Le nombre de pertes totales est resté relativement stable avec une baisse de seulement 3 % par rapport à l’an dernier (88 pertes enregistrées), faisant de 2015 l’année la plus sûre du transport maritime depuis dix ans. Les pertes ont diminué de 45 % depuis 2006 en raison d’un environnement très sûr et grâce à l’autorégulation. Toutefois, les disparités par région et par type de navire demeurent, souligne le rapport annuel d’Allianz Global Corporate & Specialty SE (AGCS), diffusé le 21 mars.
Plus d’un quart du total des pertes se situe en Chine méridionale, en Indochine, en Indonésie et dans les Philippines (22 navires en tout). Contrairement aux autres régions, on y recense davantage de pertes d’une année sur l’autre.
Plus de 60 % des pertes mondiales concernent des cargos (36) et des navires de pêche (16). Les premiers ont connu une augmentation du nombre de pertes pour la première fois en trois ans. Le naufrage est la cause de sinistre la plus fréquente, représentant 75 % des cas (soit une augmentation de 25 %), et souvent dû à une météo défavorable.
En 2015, on recense 2 867 accidents (de tous types, pertes totales incluses) de transport maritime dans le monde, soit 4 % de moins que l’an dernier. Les accidents surviennent majoritairement le jeudi, le samedi étant le « jour le plus calme ». La Méditerranée orientale et la mer Noire restent les principaux points névralgiques (484 sinistres). Les bris de machine sont majoritaires avec 973 déclarations (36 %). Trois navires détiennent le triste record d’avoir été impliqués, chacun, dans 19 accidents ces dix dernières années: un roulier dans la région des Grands Lacs, un hydroptère du côté de la Méditerranée orientale et de la mer Noire, ainsi qu’un ferry au large des îles britanniques.
La crise économique entrave le renforcement de la sécurité
La tendance à la baisse des sinistres maritimes représente un signe encourageant. Néanmoins, la faiblesse persistante de l’économie et des conditions de marché, la baisse des cours des matières premières et l’excédent de navires exercent une pression sur les coûts et « remettent la sécurité en cause », souligne Allianz. Cet environnement joue un certain rôle dans l’accroissement de la fréquence des pertes observé par AGCS l’an dernier.
« Le ralentissement économique – et ses répercussions sur le secteur du transport maritime – auront probablement un effet négatif sur la sécurité », déplore le capitaine Rahul Khanna, directeur mondial du conseil en risques maritimes chez AGCS. De nombreux secteurs, tels que les vracs et le fret « extraterritorial », rencontrent déjà des difficultés. Tout assouplissement des normes de sécurité représenterait une importante source d’inquiétude. « Les enjeux économiques ne doivent surtout pas amener à remettre les questions de sécurité à plus tard », préviennent les experts d’AGCS. Certains propriétaires de navire diminuent déjà la fréquence d’entretien, alors que d’autres mettent leurs navires au mouillage. « Leur remise en service, sur un marché qui aura progressé sur le plan technologique, pourrait s’avérer difficile. Les procédures de mise hors service nécessitent une normalisation », affirme le capitaine Jarek Klimczak, consultant senior en risques maritimes chez AGCS.
La pression des coûts peut affecter l’investissement pour l’entretien des navires, mais également les conditions de travail de l’équipage, la sécurité des navires de passagers et les capacités de sauvetage. Ces dix dernières années, AGCS a constaté un accroissement des demandes d’indemnisation liées à la fatigue. Avec un équipage souvent réduit au minimum et une prévision de manque de personnel dans le secteur, « la prolongation du temps de travail pourrait aggraver ce problème ». En outre, le niveau de formation s’avère insuffisant dans certains secteurs, comme la navigation électronique, qui devrait être considérée comme un outil « complémentaire plutôt que comme la panacée ».
Malgré les progrès considérables réalisés en matière de sécurité des navires de passagers, des préoccupations demeurent, notamment dans le cas des voyages purement nationaux. Certaines régions d’Asie ont des années de retard en matière de normes internationales, en atteste le nombre de sinistres nationaux impliquant des ferries en Asie du Sud-Est. La pression relative aux bénéfices peut affecter l’organisation de l’entretien.
Grands navires, grandes tempêtes
La capacité des plus grands porte-conteneurs a augmenté de 70 % en dix ans, allant jusqu’à plus de 19 000 EVP. Deux de ces navires, le CSCL-Indian Ocean et l’APL-Vanda, sont restés échoués plusieurs jours en février 2016, ce qui amène à s’interroger sur l’éventualité d’un cas plus grave. « Les pressions commerciales lors de ces sauvetages ont réduit la facilité d’accès aux sauveteurs pour effectuer des remorquages de cette ampleur. » Le secteur de l’assurance devra peut-être se préparer à des pertes supérieures à 1 Md$ au total, prévient une nouvelle fois Allianz.
Le rapport fait également état d’un accroissement de la fréquence des phénomènes climatiques exceptionnels, entraînant des risques supplémentaires et perturbant la chaîne d’approvisionnement. Cette année, les effets d’un « super » El Niño devraient se traduire par de nouvelles conditions climatiques extrêmes. Par ailleurs, la météo défavorable a joué un rôle dans trois des cinq principaux sinistres l’an dernier. Le naufrage du navire américain El-Faro compte notamment parmi les plus grandes catastrophes du transport maritime américain depuis des décennies. « Le cas des naufrages causés par les violentes tempêtes s’avère préoccupant », alerte Sven Gerhard, responsable mondial des produits d’assurance maritime chez AGCS. Les catastrophes naturelles se multiplient et leurs conséquences s’aggravent. « Le routage météo restera un élément crucial dans le cadre d’une navigation sécurisée. »
Les cyber-risques évoluent
La dépendance du transport maritime vis-à-vis des technologies interconnectées engendre aussi des risques. L’exposition aux cyber-risques évolue au-delà de la perte de données. Un nombre « conséquent d’incidents » informatiques est déjà survenu. Les progrès technologiques que représentent les objets connectés et la navigation électronique laisseront probablement peu de temps aux acteurs du secteur pour se préparer au risque de pertes de navires. « Les pirates profitent déjà des failles de sécurité informatique pour programmer le vol de certaines cargaisons », s’alarme le capitaine Andrew Kinsey, consultant senior en risques maritimes chez AGCS. L’impact numérique ne doit pas être surestimé.
Pour la première fois en cinq ans, les attaques de pirates n’ont pas reculé en 2015. Les attaques dans les eaux de l’Asie du Sud-Est ont proliféré et représentent 60 % de l’ensemble des incidents. Les attaques au Viêt-Nam ont augmenté par rapport à l’an passé.
Moins de soufre, plus de casse
La menace vis-à-vis de la sécurité peut être en lien avec la baisse des émissions: les mesures prises dans le secteur du transport maritime pour réduire les émissions ont eu des conséquences « imprévues » sur la sécurité. L’emploi accru du carburant à faible teneur en soufre a engendré « d’autres problèmes sur le plan énergétique ». AGCS a observé une recrudescence des demandes d’indemnisation pour les équipements mettant en cause le carburant.
Les sinistres en Arctique ont augmenté. Plus de 70 incidents de transport y ont été signalés en 2015. Cet accroissement de 30 % par rapport à l’an dernier établit le record de la décennie. L’arrivée du Code polaire est une bonne nouvelle, mais des doutes persistent concernant les meilleures pratiques à adopter et leur mise en état, estime l’assureur.
Il est l’un des très rares à évoquer publiquement les problèmes maritimes auxquels la profession doit faire face. Seules les solutions semblent manquer.