Le Financial Times attaque fort sur le thème suivant: alors que les gouvernements européens se démènent pour contrôler leurs frontières terrestres devant l’afflux des migrants et le risque de terrorisme islamiste, ils ne prêtent pas beaucoup d’attention à leur plus longue frontière, la frontière maritime. « De nouvelles informations » soulignent l’augmentation en Méditerranée et en Atlantique de la contrebande, des arrêts inexplicables en pleine mer de navires, des escales inhabituelles pour d’autres qui vont finalement arriver dans des ports européens. Rien ou pas grand-chose n’est fait pour combattre cette tendance, affirme le Financial Times. Il n’y a pas de système global de suivi des cargaisons qui passent par les ports européens et circulent le long des 70 000 km de côtes. Un manque qui a depuis longtemps été exploité par les organisations criminelles et qui pourrait l’être par le terrorisme, expliquent des « représentants officiels européens », selon le Financial Times. « À ce jour, le terrorisme n’a pas encore exploité les failles de la sûreté maritime, mais la question est de savoir combien de temps cela durera-t-il » s’interroge Gerry Northwood, ancien officier de la Royal Navy, et actuellement directeur des opérations dans l’océan Indien de Mast, une société de protection en mer. « Le potentiel est là. Le monde, en dehors de l’Europe, en Afrique du Nord par exemple, regorge d’armes. Vous pouvez mettre une poignée d’AK47 dans un conteneur, le charger à Aden (assez éloigné de l’Afrique du Nord) et les récupérer à Hambourg très facilement » ajoute-t-il. En janvier, 540 cargos sont entrés dans les ports européens après avoir transité pour des raisons incertaines ou peu économiques dans les eaux territoriales de la Syrie et de la Libye, rongées par le terrorisme, explique le quotidien britannique.
Pavillons de complaisance opaques
Le nombre de navires utilisant des pavillons de « complaisance » (utilisés par des armateurs non résidents pour masquer leur identité ou faire des économies fiscales, explique-t-on) est également en augmentation. Sur les quelque 9 000 navires qui ont transité dans les eaux européennes
Certaines détections sont particulièrement « préoccupantes ». À la mi-janvier, par exemple, un cargo de 76 m a quitté le port turc de Golcuk en direction de Misrata en Libye, et a éteint son AIS durant trois heures en arrivant à proximité des côtes tunisiennes. Il a repris la route prévue en se dirigeant vers Pozzallo en Italie, AIS allumé. Un autre cargo a quitté Gênes en direction de Lisbonne le 8 novembre. Mais au lieu de faire une route directe, il a fait un détour de 500 milles nautiques au large de l’Afrique. Il s’est arrêté un certain temps puis a rebroussé chemin vers le Portugal. Le Financial Times évoque un possible transbordement de marchandises illicites en pleine mer (pas toujours facile, surtout en hiver).
Selon un « haut responsable européen » de la lutte contre le terrorisme, il y a une prise de conscience de plus en plus forte du besoin de renforcer la sûreté portuaire et maritime à Bruxelles et dans les capitales européennes, mais l’étendue du problème est tellement vaste que personne n’a imaginé de solutions susceptibles d’être réellement efficaces. « Certains États ont des services de douanes efficaces mais il s’agit de suivre le trafic de centaines de ports et de coordonner leurs actions. La réalité est que la plupart du temps, nous nous fions aux dires du capitaine. Même un simple porte-conteneurs ne peut être totalement fouillé », semble regretter ce haut responsable.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001 et l’attaque du pétrolier Limburg en 2002, le code ISPS a été adopté et mis en œuvre, rappelle le Financial Times. Beaucoup d’États européens hésitent à prendre des mesures plus sévères pour des raisons de coût, et la mise en œuvre est incomplète, « estiment des experts ». « En théorie, le code ISPS est d’application stricte, mais en pratique, celle-ci dépend de la bonne volonté de l’autorité qui en a la charge », estime Gerry Northwood. « Il n’y a pas ou peu de contrôle. » Une partie du problème en Europe vient du manque de coordination ou de partage de l’information concernant les activités maritimes suspectes, ce qui permettrait aux États de cibler leurs efforts de façon plus efficace, souligne le Financial Times. « Nous avons besoin d’une meilleure collecte d’informations en amont », estime Calum Jeffray, chercheur au groupe de réflexion Rusi (Royal United Services Institute), spécialisé dans les affaires de Défense. « Beaucoup de choses sont faites en Europe pour lutter contre le narcotrafic. Mais il y a une tendance à négliger la sûreté maritime et portuaire dès que l’on aborde le terrorisme », estime Calum Jeffray. « Quand vous comparez les efforts faits dans les aéroports pour la sureté, la différence est impressionnante avec ce qui se pratique dans le maritime ».
Ce défaut de surveillance pourrait être surmonté en élargissant le champ de compétences du Maritime Analysis and Operations Centre (Moac), basé à Lisbonne. Armé par des militaires originaires de sept États membres de l’Union européenne ainsi que des États-Unis, le centre n’a vocation que de lutter contre le narcotrafic, souligne Calum Jeffray.
« Actuellement, la mer est la porte dérobée de l’Europe », estime le d.g. de Windward, Ami Daniel. « À moins de disposer d’un bon tuyau, l’immense majorité des navires ne sera jamais interceptée ou inspectée. Nous arrivons à un point où cela va poser problème. Les armes, les drogues, les gens arrivent de partout sans aucune vérification ».
* Un concept juridique à créer car, à ce jour, les États membres refusent d’abandonner ou de limiter leur souveraineté sur leur espace maritime, eaux territoriales et éventuelle ZEE.