Même si l’image paraît parfois négative, elle ne doit pas dissimuler l’intérêt économique et social des exportations de véhicules d’occasion vers l’Afrique. La presse belge affirme qu’elles génèrent plus de 1 200 emplois dans l’agglomération Bruxelloise et de substantielles recettes pour les ports concernés. Les entreprises de transport et de manutention bénéficient bien entendu de cette manne.
Des libertés à protéger
L’aspect mercantile des opérations d’exportation ne doit pas occulter les libertés qu’elles sous-tendent, c’est-à-dire la liberté du commerce et de l’industrie, des prestations de services, de la circulation des capitaux, du travail. En droit français comme en droit de l’Union européenne, toute restriction à une liberté doit être d’interprétation stricte. Un simple doute sur la légalité d’une opération ne saurait en interdire la réalisation.
Outre les libertés publiques, il convient de protéger les libertés individuelles. Peut-on interdire à des populations pauvres d’acquérir des véhicules d’occasion sous le prétexte qu’ils constituent un danger pour la sécurité publique? Le droit de posséder un véhicule automobile et de l’utiliser constitue une liberté fondamentale dont les limites ne peuvent être fixées que par l’État où elle s’exerce. Un véhicule hors d’usage exporté peut, après une remise en état, répondre aux normes de sécurité de cet État. C’est un raisonnement qu’a suivi en France le Conseil d’État en jugeant qu’au moment où il statue, si un navire qui était hors d’usage lors de l’intervention de police portuaire est remis en état, il ne peut plus ordonner sa destruction.
Une qualification juridique difficile à établir
Les voitures d’occasion exportées vers l’Afrique sont souvent considérées comme des véhicules hors d’usage dont les Européens ne veulent plus ou qui ne répondent plus aux normes de sécurité de l’Union européenne. S’agit-il pour autant de déchets? Le mot est lâché! Il y a indiscutablement une connotation environnementale face à certains véhicules destinés à la casse. L’État exportateur peut-il s’arroger le droit de définir la vocation des véhicules en cause? Objectivement, ce n’est pas envisageable, cependant, eu égard à la Convention de Bâle du 22 mars 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination, aux règlements et directives de l’Union européenne sur le contrôle du transfert des déchets à l’entrée et à la sortie de l’Union européenne et aux règles de droit interne reprises notamment dans le code de l’environnement, la qualification juridique des véhicules d’occasion destinés à l’exportation doit être envisagée.
Tant la Convention de Bâle que la directive de l’Union européenne sur les déchets et la loi française définissent le déchet comme une substance ou un objet que l’on élimine, qu’on a l’intention d’éliminer ou qu’on est tenu d’éliminer en vertu du droit national. En 2006, le Conseil d’État a considéré que l’ancien porte-avions Clemenceau constituait un déchet dès lors que les termes de l’appel d’offres pour le désamianter manifestaient l’intention de l’État de se défaire de cette « coque » qui n’avait plus le statut de navire. Les opérations d’exportation n’impliquent pas nécessairement une volonté de se défaire des biens exportés. En 2009, le Conseil d’État n’a pas censuré la décision des autorités administratives françaises d’avoir autorisé le départ du navire Sea-Beirut du port de Dunkerque vers la Turquie alors que ses structures contenaient de l’amiante.
Un véhicule, qu’il soit terrestre ou nautique, ne doit pas être systématiquement considéré comme un déchet dès que certains de ses éléments peuvent avoir cette qualification. Dans un arrêt de 1966, la Cour de cassation évoquant des déchets récupérés sur une épave d’un navire coulé, dissocie l’épave de ses éléments.
Si des véhicules d’occasion ne constituent pas dans la plupart des cas des déchets, l’exportation de certaines de leurs pièces en fait néanmoins partie. C’est ainsi que la Cour de Justice de l’Union européenne, à propos de l’exportation de l’Union européenne par voie maritime vers le Liban de plusieurs milliers de catalyseurs usagés, a jugé en 2011 que cette opération était illégale en application d’un règlement communautaire relatif au transfert de déchets.
Protection de l’environnement et bien-être social
Depuis les années 1970 jusqu’à la COP 21, les États ont exprimé la volonté d’assurer la protection de l’environnement et le bien-être des populations, volonté rappelée dans la Déclaration du millénaire par tous les chefs d’État et de gouvernement de la planète lors de l’Assemblée générale des Nations unies le 8 septembre 2000. Or, s’agissant de l’exportation de véhicules d’occasion vers l’Afrique, on peut s’interroger sur le degré de réalisation de cet objectif onusien. Certes, cette opération est de nature à favoriser le déplacement des populations sur un continent où les transports en commun sont peu développés, mais a-t-on le souci de la récupération des huiles et graisses usagées afin d’éviter la pollution des sols et des cours d’eau? Quant aux carcasses de voitures abandonnées le long des routes, elles constituent une source indéniable de pollution qu’atténue modestement la récupération de pièces pour l’artisanat local.
La solidarité en matière de développement économique et de protection de l’environnement est envisagée entre l’Union européenne et les États Afrique, Caraïbes, Pacifique (A.C.P) dans le cadre des accords de Cotonou sur le partenariat. Cette convention internationale en définit les principes, mais leur mise en œuvre prend beaucoup de retard. Les institutions de l’Union européenne font toutefois preuve de précaution afin d’éviter certaines dérives environnementales. Ainsi un règlement interdit les exportations de déchets au départ de l’Union, destinés à être valorisés dans les pays ne faisant pas partie de l’OCDE.
Tandis que les prescriptions environnementales paraissent insuffisantes pour freiner les exportations de véhicules d’occasion vers l’Afrique, une mesure d’ordre monétaire risque d’y parvenir. En effet, à la suite de la limitation du montant des transactions en espèces dans plusieurs États de l’Union européenne, dont la Belgique et la France, la presse a titré « Menace sur l’eldorado de l’export de voitures ». Pour le commerce international comme pour d’autres domaines, les nuisances ont parfois une provenance inattendue.