L’Abeille-Bourbon veillait au grain

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Pendant ce temps, l’Abeille-Bourbon, après une semaine mouvementée dans le golfe de Gascogne, regagne son poste d’amarrage habituel, quai du Commandant Malbert, au premier bassin du port de Brest. Aux commandes de l’Abeille-Bourbon, un mois sur deux, en alternance avec son homologue Thierry Choquet: Jean-Luc Le Goff. Il a derrière lui 22 années au remorquage. De l’Abeille-Supporter aux Abeilles Bretagne, Picardie, Languedoc ou Flandre, il a gravi tous les échelons de lieutenant à commandant, enchaînant assistances, remorquages et sauvetages. Un domaine qu’il connaît bien, donc.

Affrété par la Marine nationale pour assurer la protection des côtes, la Bourbon appareille pour l’île d’Ouessant ou la baie de Camaret lorsque la météo se dégrade. Le 26 janvier, alors qu’il se trouvait en station devant Ouessant, un appel du Centre opérationnel de la marine (COM), à 14 h 30, signale le Modern-Express avec 15° de gîte, position 46.13 Nord et 8.16 Ouest. Équipage hélitreuillé, plus personne à bord. À 19 h, nouvel appel demandant à l’Abeille-Bourbon d’appareiller. Mauvaises conditions, vent de force 9 à 12, le remorqueur est bout à la lame et doit limiter sa vitesse à 13 nœuds. « Il n’y avait personne à l’eau, ça ne servait à rien de risquer de casser », indique Jean-Luc Le Goff. Pendant le trajet, les informations parviennent. Le roulier transporte 3 600 t de bois du Gabon au Havre, ainsi que des engins de chantier. « Il a pris une lame par le travers, puis une deuxième, il a alors pris de la gîte et les moteurs ont stoppé. À notre arrivée sur zone le 27 janvier à 12 h 30, il accusait entre 40 ° et 45° de gîte et un équilibre très instable. Ses deux portes latérales d’accès aux ponts sont sur tribord et ne sont peut-être pas parfaitement étanches, il a peut-être embarqué un peu d’eau », poursuit-il. Des portes normalement situées au-dessus de la ligne de flottaison, non conçues pour se retrouver dans cette position.

Conditions dangereuses

« Nous avons évalué la situation mais vite compris que nous ne pouvions pas aller passer une remorque sans mettre la vie des marins en danger. Nous sommes restés à proximité pour assurer la sécurité de la navigation. Nous lancions un appel toutes les heures pour signaler la position du navire à la dérive et on prévenait par VHF les navires qui faisaient route dans notre direction. »

Le 28 janvier sont arrivés sur zone le Centaurus et le Rio-de-Vigo. Tous deux affrétés par la Smit Salvage, compagnie néerlandaise chargée par l’armateur du sauvetage, à la suite de la mise en demeure du préfet maritime de l’Atlantique. Arrivée également de la frégate Primauguet de la Marine nationale. Avantage précieux, la frégate dispose d’une plate-forme et d’un hélicoptère qui va se révéler essentiel pour la suite des opérations. En raison de la hauteur du Modern-Express sur l’eau, le Lynx de la Marine nationale est en effet le plus sûr moyen d’accéder à bord. Il sera ensuite suppléé par un Caïman, un NH 90 venu de Lanvéoc-Poulmic, qui assurera le transfert du blessé, de deux techniciens supplémentaires et de la remorque en Dyneema.

Les quatre techniciens de la Smit, venus 24 heures sur la Bourbon, sont en parfait accord avec les marins des Abeilles pour utiliser l’hélicoptère pour être hélitreuillés à bord. « Nous ne pouvions pas travailler dans l’obscurité, et à cette époque de l’année les jours sont courts. Le pont couvert était également pénalisant car la ligne permettant de hisser la remorque devait être passée à partir du navire en avarie et non l’inverse. »

Ils ont alors décidé d’installer un système de va-et-vient, prenant appui sur une bitte sur laquelle serait ensuite capelée la remorque. Mais le câble d’acier mis en place après beaucoup de difficultés a cassé très rapidement.

« Nous avons ensuite eu du mauvais temps pendant tout le week-end, impossible de travailler. Avec 45 nœuds de vent et des creux de 6 m à 7 m, le roulier accusait des coups de roulis de 10° à 15°, et jusqu’à 70° de gîte, le bord du pont couvert venant dans l’eau. »

Remorque en Dyneema

Il a alors été décidé d’utiliser une remorque en Dyneema, une fibre très résistante à la traction et d’un poids très inférieur aux remorques d’acier. Avec un inconvénient cependant, elle est beaucoup plus sensible au ragage, le frottement sur les portages, et il faut donc mettre en place des moyens de protection. Une autre remorque en Dyneema, hélitreuillée du Primauguet sur l’Abeille-Bourbon, avait été prévue en cas d’échec de la manœuvre effectuée par le Centaurus.

« Une remorque de 200 m que nous aurions mise en double, deux fois 100 m », précise le commandant de la Bourbon.

Mais le lundi, profitant de l’accalmie, les techniciens néerlandais ont mis en place la remorque, et le remorquage a débuté à 11 h 20. Le Centaurus est parti cap au large pour éloigner le roulier de la côte qui n’était plus qu’à une vingtaine de milles à ce moment et montait tranquillement en allure, jusqu’à 2,5 nœuds, le remorqué suivant bien. Le convoi était accompagné par le BSAD Argonaute (bâtiment de soutien, d’assistance et de dépollution), également affrété par la Marine nationale.

Fin de l’aventure pour les douze marins de la Bourbon, ainsi que pour les deux stagiaires et un élève qui se trouvaient à bord. « Bien sûr, on aurait préféré le remorquer nous-mêmes, a lâché le commandant, c’est toujours une belle expérience. Mais l’essentiel c’est que le Modern-Express ne soit pas parti à la côte, et il n’y a pas eu de pollution. »Quant aux leçons à tirer d’un problème semblable sur les navires de ce type, Jean Luc Le Goff se demande si l’on ne devrait pas penser à l’avenir à les équiper d’une remorque de secours comme en ont dorénavant les pétroliers, et que l’on peut récupérer grâce à une bouée larguée à la mer en cas d’avarie. Un dispositif qui a un coût, bien entendu, mais qui pourrait vraisemblablement éviter un certain nombre de difficultés. La sécurité en mer est sans doute également à ce prix.

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