La Commission propose que les États concernés adaptent leur législation de manière à garantir que les ports publics ou privés acquittent l’impôt sur les sociétés sur leurs activités économiques selon le même régime que les autres entreprises qui opèrent sur leur territoire respectif. Selon la jurisprudence de la Cour de Justice, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Les ports rentrent dans cette définition sauf pour leurs missions régaliennes: police, travaux d’aménagement, protection de l’environnement, exploitation des ouvrages d’infrastructure…
En France, tous les ports maritimes appartiennent à des personnes de droit public, il n’existe sur le plan juridique aucun port privé, même si certains ports de plaisance sont concédés à des entreprises privées. S’il est logique, en l’absence d’harmonisation fiscale au niveau européen, que la Commission demande aux États membres d’adapter leur législation nationale pour éviter une distorsion de concurrence, c’est, affirme-t-elle, à l’égard des opérateurs intervenant sur le territoire de l’État concerné. Ce n’est donc pas la concurrence intracommunautaire qui est visée, même si apparaît en toile de fond le régime des aides d’État. À propos de ce dernier, il convient de rappeler que ne constituent pas de telles aides les compensations financières aux obligations de service public, y compris lorsque ce service est de nature industrielle et commerciale.
Il résulte du droit de l’Union européenne que les obligations de service public sont celles que, s’il considérait son propre intérêt commercial, l’opérateur « n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions ». Il existe une spécificité française au regard de la conception du service public qui n’est pas partagée par l’ensemble des États de l’Union européenne.
Le caractère déroutant du droit français
Le Code général des impôts dispose que sont passibles de l’impôt sur les sociétés « les établissements publics, les organismes de l’État jouissant de l’autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toute autre personne morale se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ». Sur ce fondement, la jurisprudence administrative a admis le principe de l’assujettissement à cet impôt des personnes de droit public exploitant en régie des ports de plaisance.
Depuis la loi de finances rectificative pour 2001, les Ports autonomes puis les Grands ports maritimes font l’objet d’un prélèvement annuel de dividendes de la part de l’État, pour des montants parfois substantiels pouvant aller jusqu’à 17 M€ (pour l’exercice 2008). Outre la circonstance que cette contribution ne soit pas une nature fiscale, on s’étonnera que l’on utilise une terminologie propre au droit des sociétés alors que les Ports autonomes et les Grands ports maritimes sont des établissements publics de l’État qui n’émettent pas d’actions.
La dérive terminologique ne s’arrête pas là. Tandis que le Conseil d’État avait jugé en 1982, en matière fiscale, qu’un Port autonome était un établissement public mixte exerçant à la fois des missions à caractère administratif et de nature industrielle et commerciale, le rapport 2015 « relatif à l’État actionnaire », publié par l’Agence des participations de l’État, qualifie les Grands ports maritimes et le Port autonome de Paris d’établissements publics à caractère industriel et commercial. Il s’agit d’une curieuse interprétation juridique, d’autant que la loi de 2008 portant réforme portuaire interdit aux Grands ports maritimes métropolitains de conserver la propriété et d’exploiter des outillages publics, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent plus exercer la principale activité industrielle et commerciale d’un port.
Dans un rapport de 2007 sur « la modernisation des Ports autonomes » rédigé par l’Inspection générale des finances et le Conseil général des ponts et chaussées (aujourd’hui Conseil général de l’environnement et du développement durable), le principe de l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés était admis pour ces établissements seulement pour leurs activités lucratives, mais il réclamait un « régime normal de dividendes calculé sur le résultat après impôt sur les sociétés ».
Actuellement, le code des transports renvoie à la conclusion d’un rapport pluriannuel, entre chaque Grand port maritime et l’État, la définition de « la politique de dividendes versés à l’État », c’est-à-dire que le taux de prélèvement de ces dividendes continuera de varier selon chaque établissement. Il s’agit d’une difficulté supplémentaire pour appliquer aux établissements portuaires l’impôt sur les sociétés sans contrevenir au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques.