Le 8 décembre, Volker Schellhammer, directeur du Bundesstelle für Seeunfalluntersuchung (BSU), BEAmer allemand, a publiquement fait savoir qu’il se retirait de l’enquête commune concernant l’incendie meurtrier du roulier mixte Norman-Atlantic. Immatriculé en Italie et venant de Grèce, ce navire est victime d’un incendie le 28 décembre 2014. Quatorze morts dont un Allemand et deux résidents en Allemagne. Le BSU a donc un intérêt « substantiel » à participer à l’enquête qui est pilotée par son homologue italien. La coopération entre les BEA italien, allemand et grec a « parfaitement » fonctionné. « Cependant, il doit être noté que le système légal italien ne permet pas de mener une enquête technique objective car il donne une priorité absolue à l’enquête judiciaire. Cela signifie que le navire a été saisi sur ordre du procureur qui est la seule autorité à y avoir accès. En outre, il doit être su que les enquêteurs des trois BEA concernés ne sont pas libres d’accéder sans entrave au navire. L’accès à des zones aussi importantes que la salle des machines ou celle des générateurs n’a été accordé qu’avec des limitations ou tout simplement refusé. De plus, il n’a pas été permis de mener des inspections détaillées des éléments présents dans ces deux salles. En conséquence, il est impossible de faire la moindre estimation de l’état dans lequel se trouvaient ces éléments ou du niveau du combustible dans les divers réservoirs. Cela est pourtant d’une particulière importance pour vérifier les déclarations de l’équipage relatives au fonctionnement du générateur de secours, des diesels auxiliaires et des pompes à incendie. Aucune constatation n’a pu être faite sur la zone où a pris le feu car les ponts 3 et 4 ne sont pas librement accessibles. Dans ces conditions, le BSU estime inutile de maintenir sa présence dans l’enquête. »
Costa-Concordia: un mystère à jamais
Poursuivant sur son élan, le directeur du BSU a également fait savoir qu’il mettait fin à son enquête sur les enseignements qu’il était possible de tirer de l’échouement dramatique du Costa-Concordia, survenu le 31 janvier 2012. Douze citoyens allemands avaient péri dans cet accident hors-norme.
Dans les dix premiers mois après l’accident, il a été tout simplement impossible d’enquêter car le procureur italien ne l’a pas permis, rappelle le BSU. Le BEAmer italien a cependant publié un rapport d’enquête en mai 2013. « Ce rapport ne comprenait pas les constatations des enquêteurs italiens mais était largement basé sur celles du procureur. En conséquence, la réaction générale à ce rapport a été négative car il ne répondait pas à la sévérité et à la complexité de l’accident », poursuit le BSU. En conséquence, celui-ci a estimé que des investigations complémentaires devaient être conduites « pour, au moins, tenter d’apporter un peu de lumière dans ce dossier. Il n’a pas été possible de mener ces investigations, conformément à l’obligation résultant de la réglementation européenne, car le procureur, puis le code pénal, puis finalement l’ensemble du système judiciaire italien ont toute autorité pour décider ou non de laisser le BEAmer mener son enquête. »
Le BEAmer italien n’ayant en pratique aucune autorité, ses homologues associés n’en ont pas plus. « Les informations obtenues de deuxième ou troisième main ne permettent pas de mener une enquête sérieuse. » En conséquence de quoi, le BSU referme le dossier, en le faisant bien savoir.
Droit italien et directive européenne
Cette sortie, exceptionnelle de la part d’un BEA, administration de moyenne importance, donne une idée du degré d’agacement allemand. Rappelons que très vite après l’accident du Costa-Concordia, le BEAmer italien a expliqué à l’OMI, le 18 mai 2012, qu’il était totalement dépendant du procureur en charge du dossier. Cette disposition du droit italien qui empêche une mise en œuvre efficace des directives européennes relatives aux enquêtes techniques n’a pas pu échapper à l’Agence européenne de sécurité maritime. En effet, l’AESM conduit régulièrement des audits pour s’assurer que les États membres appliquent correctement les directives européennes. L’AESM agit d’ordre et pour compte de la DG Move. Celle-ci ne devrait pas pouvoir faire l’économie d’une ferme invitation adressée à l’Italie. Compte tenu des motivations plus ou moins fortes des États-membres à donner de réels moyens à leur BEA, l’idée d’un BEAmer européen refait de nouveau surface. Cela permettrait en outre de faire faire des économies à l’AESM, certains audits devenant inutiles.
Autre point de vue: les Allemands sont de grands consommateurs de croisières. Ne pouvant sans doute pas se permettre de perdre une fraction de cette clientèle, les opérateurs italiens pourraient trouver intérêt à faire modifier leur législation nationale. Politiquement, le gouvernement allemand ne semble plus en position de recommander une grande rigueur, depuis l’affaire Volkswagen.