L’administration va devoir revoir les contenus du décret et de l’arrêté qui doivent préciser l’application de l’article 60 de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, adoptée en août 2015, qui réforme la loi du 31 décembre 1992 sur l’obligation de pavillon français. Celle-ci, qui ne concernait que le transport de pétrole brut, est étendue aux produits raffinés. Les deux textes ont été présentés par l’administration du secrétariat aux Transports aux partenaires sociaux, aussi bien côté patronal, Armateurs de France, que syndical, FNSM CGT, Fomm CGT, CFDT, FO, CFTC et CFE-CGC. Et tous ont fait part de leur désaccord de manière unanime sur les textes dans une lettre commune adressée à Alain Vidalies, secrétaire d’État aux Transports, le 23 septembre, soit la veille de la réunion du Conseil supérieur de la marine marchande (CSMM) au cours de laquelle devaient être discutés le décret et l’arrêté. Les deux derniers paragraphes de cette lettre sont les suivants: « Les projets présentés à ce jour, malgré presque deux ans de travail, ne permettent nullement d’assurer la diversité de la flotte et les emplois nécessaires à la sécurité et la continuité des approvisionnements énergétiques notamment pour les îles et les DOM-TOM. Le risque de disparition du vivier de compétences découlant du dépavillonnement des navires n’est pas pris en compte. Or sans marin français, il n’est pas possible de réquisitionner un navire susceptible de mener des actions de soutien pour les opérations de défense. Les partenaires sociaux n’ont pas été entendus par les pouvoirs publics. Ils souhaitent alerter sur le fait que la réforme n’atteindra pas ses objectifs sans un engagement déterminé de l’État et la mise en place d’une véritable politique maritime pour le pavillon français, s’appuyant sur des navires armés avec des navigants français, cette politique volontariste faisant défaut depuis plusieurs années. En effet, elle ne garantira pas la sécurité des approvisionnements et n’aura aucun effet positif pour l’armement et l’emploi français. »
Préserver les emplois de marins qualifiés
« Le texte est très insatisfaisant car il ne garantit pas le développement ou même le maintien d’une flotte sous pavillon français avec un nombre suffisant de marins français. Ni le nombre de navires ni le nombre de marins n’est précisé, explique Éric Banel, délégué général d’Armateurs de France. Le texte doit assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques français. Pour cela, il faut des coques et des marins français. Sans un nombre minimum de marins français, il n’y a pas de sécurité d’approvisionnement: l’emploi doit être au cœur du dispositif. » Armateurs de France et les syndicats insistent sur les menaces de disparition qui pèsent sur le vivier de marins français avec le recul constant au cours des dernières années du nombre des compagnies de transport spécialisées dans le transport de brut et de produits pétroliers et du nombre de navires dédiés. « La France perd sa capacité de transport mais aussi ses marins formés spécifiquement au transport de ces produits selon les normes exigées par l’OMI et par les compagnies pétrolières, continue Éric Banel. Si ce vivier de marins qualifiés venait à être perdu, il faudrait des années pour le reconstituer. Cet enjeu-là n’est pas traité par le texte du décret. » Un autre point de désaccord porte sur la date prévue par le décret pour l’entrée en vigueur de l’obligation: juillet 2016, considérée comme trop tardive. En réponse à l’opposition des partenaires sociaux, le secrétaire d’État aux Transports a décidé de surseoir à statuer sur les textes lors de la réunion du CSMM (voir ci-dessous) organisée le 24 septembre. Les partenaires sociaux attendent maintenant une nouvelle phase de dialogue avec l’administration.
De trois à une cinquantaine d’assujettis
L’union française des industries pétrolières (Ufip) explique que le transfert de l’obligation de pavillon pesant sur le raffinage de brut aux produits pétroliers mis à la consommation entraîne un essor du nombre des assujettis de trois à une cinquantaine de distributeurs. Ces opérateurs vont devoir démontrer un pourcentage de capacité de transport maritime sous pavillon français proportionnel à leur vente. Cela signifie une hausse très nette de l’obligation pour les opérateurs de 2,3 Mtpl dans le dispositif à 3,3 Mtpl. L’industrie pétrolière a pris acte de cette nouvelle obligation et privilégié une position constructive. Mais elle rappelle que cela signifie aussi que davantage de charges vont peser sur les produits pétroliers mis à la consommation. L’Ufip souligne que la loi prévoit la possibilité pour les opérateurs de se réunir au sein d’une structure collective, baptisée « groupement des assujettis », pour mutualiser l’obligation. L’Ufip attend la publication du décret et de l’arrêté pour pouvoir avancer dès que possible sur la création de cette structure et sur les solutions pour contractualiser l’obligation avec les armateurs. À la différence des partenaires sociaux, la date de mise en œuvre de l’obligation fixée au 1er juillet 2016 par le décret lui convient car elle prend en compte la durée de création et de mise en place de la structure collective.