JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): LES ITALIENS RÉCLAMENT DEPUIS DEUX ANS LA PRÉSENTATION DU FAMEUX PROJET DE RÉFORME DU SYSTÈME PORTUAIRE. COMMENT INTERPRETEZ-VOUS LE FAIT QUE LE GOUVERNEMENT ITALIEN TRAÎNE VISIBLEMENT LES PIEDS?
DIMITRIOS THEOLOGITIS (D.T.): Plusieurs facteurs sont probablement à l’origine des délais de présentation du plan de réforme. Il y a d’abord le fait que les changements créent toujours certaines résistances. Par ailleurs, la lenteur des procédures législatives européennes au sein du Parlement européen sur la question de la transparence des services a aussi sa part de responsabilité. Depuis mai 2013, nous avons un document à étudier, mais malheureusement, sans le rapport du Parlement européen sur ce dossier, nous ne pouvons pas avancer. Enfin, il se peut que les autorités italiennes préfèrent attendre de voir ce qui se passera au Parlement européen avant d’adopter une loi qui pourrait rapidement devenir obsolète lorsque le nouveau règlement européen sera finalement passé. En ce qui nous concerne, nous ne pouvons en aucun cas intervenir et pousser à la roue, cela serait de l’ingérence à l’état pur. Bruxelles peut certes donner des indications, mais rien d’autre. Sauf bien sûr lorsqu’un pays viole les traités et les lois européennes. Mais ceci est un chapitre qui ne concerne pas les Italiens en ce moment.
JMM: EN EUROPE, LES QUESTIONS PORTUAIRES SONT EN TRAIN DE PRENDRE DE L’IMPORTANCE DANS LES DÉBATS. LA PRESSE VULGARISE POUR FAIRE COMPRENDRE CE TYPE D’ÉCONOMIE. COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CE NOUVEAU REGARD SUR LES PORTS?
D.T.: C’est en fait le résultat de la globalisation, de la délocalisation des sites de production et de la démocratisation de certains produits. Un exemple: auparavant, certains produits relevaient de la technologie de pointe. Aujourd’hui, ils font partie des produits de grande consommation. Cela augmente les échanges. Une récente étude de l’OCDE a démontré une augmentation importante du commerce maritime. Il me semble que cette étude ait évoqué une hausse de 50 % d’ici 2050. C’est énorme. Lorsque nous avons fait des propositions sur les politiques portuaires en 2013, nous avions des augmentations de 50 % au niveau du commerce maritime. Nos prévisions s’arrêtaient à 2030. Les chiffres actuels confirment nos estimations.
JMM: AVEZ-VOUS LE SENTIMENT QUE DES EFFORTS SUPPLÉMENTAIRES POURRAIENT ÊTRE FAITS POUR AMÉLIORER LE SECTEUR MARITIME TOUT EN PENSANT À UNE SORTE DE REGROUPEMENT DES PORTS AU NIVEAU EUROPÉEN, POUR JUSTEMENT AUGMENTER LES CHANCES DE RÉUSSITE ET SURTOUT DE RENTABILITÉ GÉNÉRALE?
D.T.: C’est le but du réseau transeuropéen par exemple. Nous tablons sur un budget global de 13 Md€, ce qui représente une bonne enveloppe. C’est d’ailleurs la première fois que l’Europe est aussi généreuse dans le domaine du transport. Nous avons reçu plus de 700 projets et nous en avons sélectionné quasiment 150. Une bonne partie de ces projets avait un rapport avec le secteur portuaire et plus globalement maritime. En ce qui nous concerne, pour le moment, notre priorité est d’améliorer la connectivité entre les ports et ce que nous appelons les derniers kilomètres d’autoroute, du rail, en un mot des transports. Le fameux « dernier mille ». Encore un autre mot: le fonds d’investissement stratégique européen nous permet maintenant de financer des projets qui ne s’insèrent pas automatiquement dans nos priorités mais qui sont rentables et peuvent attirer des investisseurs privés. Compte tenu du taux de rentabilité peu élevé des investissements bancaires en l’état actuel, bon nombre d’investisseurs sortent du bois et cherchent des bons plans. Aujourd’hui, grâce à cette sorte d’inversion de tendance, les investissements dans les infrastructures font désormais partie des investissements particulièrement rentables.
JMM: LES ITALIENS SONT AGAÇÉS PAR LE GIGANTISME DES CARGOS. CERTAINS ÉVOQUENT L’URGENCE DE FAIRE PRESSION SUR LES ARMATEURS. QUEL EST VOTRE SENTIMENT À CE PROPOS?
D.T.: Le gigantisme est une réalité. Il est certain que le fait de construire des navires toujours plus grands pose problème et cela à plusieurs niveaux. Par exemple, il faut réussir à les remplir pour rentabiliser les voyages et ce n’est pas une mince affaire. Il y a les problèmes des sites d’accueil et des investissements qui doivent être faits par les manutentionnaires, et régulièrement renouvelés puisque les dimensions des navires augmentent aussi régulièrement. Et puis, il y a le problème du stockage qui est également une question importante puisqu’avec les navires plus grands, le volume de marchandises déplacées augmente. Il y a actuellement une inversion de pression. En ce qui concerne la Commission européenne, la question du gigantisme et ses retombées font partie de nos priorités. Nous nous interrogeons par exemple sur le coût de ce phénomène sur la chaîne logistique. Une ou deux études ont été faites notamment par l’OCDE, mais le dialogue n’a pas encore été établi entre les parties en cause.