Dans l’affaire du Longchamp, récemment examinée par la Haute Cour de Londres, les armateurs ont obtenu satisfaction de leur demande de contribution à l’avarie commune des dépenses engagées pour obtenir la libération du navire saisi par des pirates. L’arrêt est important car, pour la première fois, une cour a condamné les intérêts cargaison à contribuer à certaines dépenses supplémentaires (autres que la rançon) au titre de la Règle F des Règles d’York et d’Anvers.
Une dépense raisonnable
Le 29 janvier 2009, le Longchamp a été saisi par des pirates somaliens qui ont réclamé une rançon de 6 M$. Après 50 jours de négociations, les armateurs n’ont payé que 1,85 M$. Le règlement de l’avarie établi en août 2011 a pris en compte la rançon au titre de la Règle A, sans contestation des parties. En revanche, les intérêts cargaison ont contesté certaines dépenses engagées pendant la période de négociation pour un montant de 181 604 $, notamment le coût d’une agence de presse, des frais téléphoniques, les salaires et primes de zone à haut risque de l’équipage, son entretien et les coûts des soutes consommées. Les intérêts cargaison n’ont pas accepté cette décision et ont agi devant la Haute Cour de Londres. Selon les armateurs, ces dépenses avaient été correctement prises en compte au titre de la Règle F car elles avaient permis d’obtenir une réduction de la rançon et étaient donc admissibles par substitution aux 4,15 M$ qui n’avaient pas été payés. Les intérêts cargaison ont au contraire invoqué que si les armateurs avaient payé la rançon demandée sans négocier, ce paiement aurait été irraisonnable et, de ce fait, la dépense aurait été hors du champ de l’avarie. Ils ont ajouté que les dépenses avaient été effectuées en plus du paiement de la rançon et non à sa place. Ensuite, que les frais d’agence et de téléphone ne pouvaient pas être considérés comme des dépenses supplémentaires. Et enfin, que le coût des soutes n’était pas une dépense mais une perte. Toutefois, le juge a estimé que face à des pirates le paiement de la rançon était forcément une dépense raisonnable et que les dépenses pour lesquelles les armateurs agissaient avaient été engagées à la place de ce qui n’avait pas été payé en rançon. Ces dépenses n’auraient pas été ordinairement engagées mais elles l’ont été du fait de la tournure qu’ont pris les événements. Enfin, il a estimé que les soutes sont incluses dans la notion de dépense dans les Règles d’York et d’Anvers. Concernant les frais d’agence de presse et de téléphone, le juge a considéré qu’ils étaient recouvrables au titre de la Règle A. La Haute Cour a donc rejeté entièrement les demandes des intérêts cargaison et a jugé que toutes les dépenses étaient récupérables en avarie commune.
Selon Duncan McDonald, avocat associé chez Stephenson Harwood, cette affaire est l’un des nombreux cas en relation avec la piraterie qui a atteint la Haute Cour de Londres, et certainement pas le dernier. En effet, les intérêts cargaison ayant été autorisés à faire appel.
Depuis quelque temps, certains suggèrent que l’avarie commune devrait être abolie car ils y voient une manière pour les armateurs de faire prendre en charge, par les intérêts cargaison, des dépenses qui normalement leur incomberaient. Toutefois, cette institution conserve une utilité particulière dans des situations de saisies par les pirates en ce qu’elle autorise des dépenses coûteuses que les armateurs hésiteraient à faire si elles n’étaient pas réparties de façon équitable entre tous les intervenants.
Les principes de l’avarie commune
L’avarie commune est une institution traditionnelle du droit maritime selon laquelle, quand une dépense extraordinaire est encourue pour le salut commun afin de préserver d’un péril les propriétés engagées dans une aventure maritime, cette dépense doit être supportée proportionnellement par tous ceux qui y ont un intérêt. Plusieurs textes légaux régissent l’avarie commune, mais dans la pratique, les parties renvoient aux Règles d’York et d’Anvers. Suite à la déclaration d’avarie, un dispatcheur établit le montant des dépenses: celles qui sont directement admissibles le sont au titre de la Règle A, alors que les autres peuvent l’être au titre de la Règle F si elles ont été encourues en substitution des premières.