Qu’il soit totalement autonome ou « simplement piloté » à distance, un éventuel drone de commerce pose des difficultés juridiques et suscite la colère des syndicats de navigants. Tout d’abord, en l’état actuel du droit tant français qu’international, un marin doit, pour être qualifié de tel, exercer son activité « à bord d’un navire »
Au surplus, qu’adviendrait-il de la notion même de capitaine, « seul maître à bord après Dieu »? Cette fonction aurait-elle encore un sens après la migration à terre de l’équipage? Si la réponse s’avérait positive, le capitaine continuera-t-il d’être dépositaire de l’autorité publique en bénéficiant ainsi du droit de recourir à tout moyen de coercition nécessité par les circonstances? La disparition de la notion de capitaine pourrait s’avérer bien délicate si deux opérateurs terrestres venaient à avoir une vision divergente de la manœuvre urgente à accomplir pour éviter une collision ou tout autre événement de mer.
Armateur responsable de tout et inassurable
Ces interrogations, loin d’être uniquement doctrinales, revêtent un intérêt pratique considérable pour les transporteurs. En effet, en l’absence d’équipage à proprement parler, comment le transporteur maritime pourrait-il se prévaloir de la faute nautique du capitaine pour s’exonérer de sa propre responsabilité? L’apparition de navires automatisés pourrait donc avoir pour revers une responsabilité accrue des transporteurs.
Par ailleurs, d’un point de vue pratique, Andrew Bardot, responsable de l’International Group, regroupant treize des principaux P&I Clubs à Londres, affirme ainsi que, faute de respecter les normes internationales édictées par l’OMI, de tels navires ne pourraient trouver d’assureur acceptant de les couvrir en Europe. De la même manière, en matière d’assurance de dommages, la mesure du risque étant basée sur des statistiques, faute de données antérieures, la détermination de la prime d’assurance risque d’être délicate à effectuer pour les assureurs.
Être ou ne pas être… un navire
Une autre question se pose inévitablement: un drone maritime peut-il être assimilé à un navire?
L’ensemble de la doctrine s’entend à définir un navire comme tout engin flottant apte à affronter les périls de la mer et affecté à la navigation en mer
Les critères de flottabilité et de capacité du drone maritime à affronter les périls de la mer ne semblant pas poser de problème particulier, il convient de s’interroger sur ce que recouvre la notion de navigation en mer.
S’agissant des drones navals, d’aucuns pourraient considérer que la « navigation » maritime implique un « armement maritime » minimum. Autrement dit, la navigation nécessiterait l’intervention de l’homme. Toute la question est alors de savoir si l’homme se doit d’être présent à bord de l’engin flottant apte à affronter les périls de la mer, ou si le téléguidage de l’engin peut être considéré comme une forme de navigation maritime. Selon que l’on aura ou non une conception « humaine » de la navigation, un drone sera ou ne sera pas un navire.
La codification de cette définition du navire, figurant désormais à l’article L5000-2 du code des transports, suscite quant à elle des interrogations. Il est ainsi établi que « sauf définition contraire, sont dénommés navires pour l’application du présent code: tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci (…) ». Or, cette notion d’engin équipé laisse place au doute. Le terme « équipé » fait-il écho au terme « équipage » ou « équipement »? Le législateur a-t-il volontairement été vague pour que des drones puissent à terme être qualifiés de navire?
Ainsi, à défaut d’éclairage supplémentaire, selon que les juges voudront ou non permettre au propriétaire d’un drone de bénéficier d’un régime spécifique au domaine maritime, ils choisiront de le qualifier de navire ou, bien au contraire, de lui refuser une telle qualification.
Un drone pourrait ainsi, en fonction de l’interprétation des tribunaux, se trouver privé du bénéfice de la limitation de responsabilité applicable aux navires, clé de voûte du droit maritime. Une telle exclusion pourrait avoir des conséquences non négligeables pour les transporteurs et leurs substitués et bouleverser l’économie de l’industrie maritime.
Par ailleurs, la solidarité entre gens de mer constitue un principe fondamental du transport maritime. Or, on voit mal comment ces missions de secours ou d’assistance pourraient survivre avec l’apparition de navires sans équipage. En effet, sans homme à bord, comment identifier un navire en danger et comment venir en aide à l’équipage ou à la cargaison menacés? La mise en circulation de drones maritimes pourrait certes améliorer la sécurité maritime en rétrécissant le champ de l’erreur humaine, mais qu’adviendra-t-il alors de la survie des marins en danger espérant être secourus par un navire croisant leur route?
On voit également mal comment l’arrimage d’une cargaison en train de s’affaiblir pourrait être repris à bord d’un navire sans équipage, ou encore comment, dans le cadre d’un transport de conteneurs, la chute de ces derniers pourrait être signalée au Cross compétent.
Enfin, même s’il peut être soutenu que les risques de piraterie maritime diminueraient considérablement en l’absence d’équipage à bord faute d’otages potentiels, ces navires autonomes pourraient devenir la cible privilégiée des pirates informatiques. De nouvelles problématiques tant juridiques qu’assurantielles pourraient alors naître.
Ainsi, si le principe même de la mise en circulation de navires sans équipage fait rêver, de nombreux problèmes restent à résoudre pour que la fiction devienne réalité. Cette innovation technologique viendrait bousculer les principes phares du droit maritime, et une certaine résistance (notamment de la part des syndicats de marins ou des assureurs) se fait déjà sentir.
L’évolution se fera sans doute au fur et à mesure par une automatisation progressive des tâches et par le remplacement progressif des marins par des machines. Parallèlement, pour pouvoir accueillir dans notre système juridique ces drones maritimes, il conviendra que les législateurs et les gouvernements apportent de concrètes modifications au droit maritime actuellement en vigueur.
Soulignons à cet égard que la mise en circulation depuis plusieurs années de drones sous-marins (Remotely Operated Vehicule ou Autonomous Underwater Vehicle) ne fait, pour le moment, l’objet d’aucune réglementation spécifique. Ces drones sont assimilés à des accessoires du navire support, et par conséquent, les règles applicables à ce dernier sont directement applicables aux R.O.V ou A.U.V lancés à partir de ce navire.
Voir par exemple article L5542-1 du code des transports qui définit le contrat d’engagement maritime comme celui « conclu entre un marin et un armateur ou un autre employeur, ayant pour objet un service à accomplir à bord d’un navire en vue d’une expédition maritime ». Ou encore la convention STCW de l’OMI.
R. Rodière, Le navire, Ed. Dalloz 1980; P. Bonassies, Traité de droit maritime, Éd. LGDJ 2010; Droits maritimes, Dalloz Action 2006/2007