La taxe foncière et les Grands ports maritimes: le juge face au silence de la loi

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Une doctrine fiscale remontant à 1942 admettait l’exonération des Ports autonomes et des Chambres de commerce et d’industrie de la taxe foncière sur les propriétés bâties. La jurisprudence administrative avait confirmé cette mesure présentée comme « exceptionnelle » par l’administration fiscale afin d’aider au redressement de l’économie portuaire.

Malgré la décentralisation qui a opéré un transfert de compétence et de propriété des ports (autres que les ports autonomes) au profit des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, les institutions consulaires, dont les concessions d’outillage public ont été maintenues, bénéficient toujours de cette exonération.

Ainsi que l’avait constaté devant l’Assemblée nationale le rapporteur du projet de loi sur la réforme portuaire, il existe un paradoxe des ports français: « des atouts majeurs, un déclin inquiétant ». L’objet de la réforme consistait à renforcer la compétitivité de nos ports maritimes, mais à aucun moment le projet de loi n’évoquait le régime fiscal des Grands ports maritimes qui se substituaient aux ports maritimes autonomes; on pouvait légitimement penser qu’il y avait une continuité sur ce point. Les seules dispositions fiscales mentionnées dans la loi n’étaient prévues qu’en faveur des opérateurs portuaires.

La Rochelle paiera, possible redressement pour les autres

L’administration fiscale considérant qu’il existait des modifications substantielles entre les Grands ports maritimes et les ports maritimes autonomes, a assujetti le Grand port maritime de La Rochelle à la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les années 2010 et 2011. Le Conseil d’État a validé cette position par un arrêt du 2 juillet 2014. Il convient cependant de rappeler qu’un arrêt rendu par cette juridiction en date du 28 décembre 2012 avait considéré que le Grand port maritime du Havre, « anciennement port autonome du Havre », pouvait se prévaloir de l’interprétation formelle de la loi fiscale par l’administration pour justifier son exonération à ladite taxe pour les exercices 2007 et 2008.

On imagine l’émotion ressentie par les dirigeants des Grands ports maritimes à la suite de la décision récente du Conseil d’État dont la formulation est équivoque, lorsqu’elle indique que la loi portant réforme portuaire « a ajouté aux catégories de ports maritimes et de pêche, notamment à celle des ports autonomes, la catégorie des Grands ports maritimes ». Certes, dans le code des transports et celui des ports maritimes, le régime des ports maritimes autonomes n’a pas été formellement supprimé, mais en pratique, les Grands ports maritimes se sont substitués à eux. La continuité des missions exercées par les établissements publics portuaires, hormis l’exploitation des outillages publics en métropole, n’a pas été prise en compte par les juges du Palais Royal.

La volonté du législateur contrée

La jurisprudence qui vient d’être rendue va à l’encontre des objectifs fixés par le législateur qui souhaitait renforcer la compétitivité des ports français. En effet, en raison de la possibilité de répercuter la charge fiscale supplémentaire sur les occupants du domaine portuaire, ainsi que l’admet lui-même le Conseil d’État dans sa jurisprudence, jusqu’où peut aller l’application du principe d’autonomie du droit fiscal. Peut-il aller à l’encontre de la volonté du législateur, ou simplement combler les silences de la loi. Selon l’importance de l’impact financier de l’arrêt qui a été rendu pour le Grand port maritime de La Rochelle, les nouveaux établissements publics portuaires seront peut-être conduits à réviser leur projet stratégique. L’évolution de la doctrine de l’administration fiscale n’a certainement pas pris en compte cette hypothèse, et en tout état de cause, a créé une insécurité juridique. Évoquant devant la section du contentieux du Conseil d’État en février 2013 le principe de l’estoppel selon lequel « une partie ne peut se prévaloir d’une position contraire à celle qu’elle a prise antérieurement lorsque ce changement se produit au détriment d’un tiers », un rapporteur public avait déclaré: « Le juge de l’excès de pouvoir, tel Hercule, parviendrait ainsi à terrasser l’hydre à plusieurs têtes que constitue souvent la doctrine fiscale de l’administration. »

Certains pensent peut-être que l’augmentation des recettes fiscales des collectivités territoriales permettra à celles-ci d’accroître leur participation au financement des travaux portuaires. C’est une idée bien théorique, car la réduction des dotations de l’État qu’elles subissent les conduira vraisemblablement à faire d’autres choix. En outre, il convient de veiller à ne pas contrevenir au régime des aides d’État résultant du traité de fonctionnement de l’Union européenne par des subventions inappropriées.

Pour l’instant, aucune harmonisation de la fiscalité des établissements portuaires n’est intervenue au niveau de l’Union européenne, c’est pourtant un domaine susceptible de connaître des distorsions de concurrence dans un secteur d’activité essentiel pour l’économie de tous les États membres. On a pu le constater à d’autres égards, la législation portuaire suscite une certaine frilosité de la part des pouvoirs publics tant au niveau national avec les multiples étapes de la législation, qu’au niveau de l’Europe, où certains textes ne parviennent pas à obtenir l’aval du Parlement européen.

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