Propriété du conseil général du Finistère et exploité par Keolis Maritime Brest (ex-Penn Ar Bed, groupe SNCF), ce navire en acier de 43,60 m quitte le Conquet le 3 septembre 2013 à 9 h 45 avec notamment 361 passagers. À Molène, 89 passagers doivent débarquer et 272 à Ouessant. Le capitaine, 52 ans, est en poste depuis deux ans sur cette unité de 2011. Il a été informé par la vedette qui assure les transbordements à marée basse de la faible hauteur d’eau à Molène. La météo est conforme aux prévisions: bancs de brume locaux et mer belle à peu agitée.
À 10 h 25, le capitaine prend la manœuvre. Le maître d’équipage et le timonier « quittent la passerelle » pour préparer le débarquement des passagers et la mise en couple de la vedette Docteur-Tricard, sollicitée par le capitaine pour leur transfert. « Compte tenu de la proximité de la zone d’atterrissage, la veille n’est pas renforcée et les conversations entre les passagers présents et le capitaine reprennent. » Vers 10 h 28, le navire se trouve à 0,26 mille dans le 330o du phare des Trois Pierres. Sa vitesse est réduite et il prend un large tour sur la gauche, au-delà de l’alignement d’entrée du chenal d’accès à Molène. La visibilité est « inférieure à 50 m. Les conversations cessent ». Un peu avant 10h30, le capitaine et le chef mécanicien « s’efforcent d’identifier les espars matérialisant l’entrée du chenal ». À 10 h 30, le navire s’échoue à la vitesse fond de 12,4 nœuds. Dans les secondes qui suivent, le capitaine demande au chef mécanicien de faire un point de situation. « Simultanément, il manœuvre pour tenter de se dégager. » La voie d’eau est signalée trois minutes plus tard. Le déséchouement est impossible. Le capitaine informe l’armateur. Vers 10 h 38, il est confirmé que le système d’assèchement permet d’étaler la voie d’eau. « Un passager inquiet de la situation prend contact par téléphone avec le Cross Corsen ». Celui-ci appelle le navire quatre minutes plus tard « afin d’établir une situation précise » et déclenche les secours. Vers 12 h 30, tous les passagers ont été évacués. Le navire est déséchoué vers 13 h 10, à quai à Molène, cinq minutes plus tard. Un plongeur confirme les avaries. À 22 h 35, le navire arrive à Concarneau pour y être réparé.
Manque de vigilance et survitesse
La faible visibilité est considérée par le BEAmer comme le facteur « déterminant ». Aucun facteur matériel n’a contribué à l’événement. Mais le BEA souligne cependant que pour rendre possible l’assèchement du compartiment machine, il a été « nécessaire d’utiliser une disqueuse pour pratiquer une ouverture sur la crépine d’assèchement […] dans des conditions de sécurité non satisfaisantes ». Cela ne fera l’objet d’aucune recommandation.
La route suivie à partir du phare des Trois Pierres « ne correspond pas » à celle tracée sur l’ECDIS: premier facteur « sous-jacent » de l’échouement. L’utilisation du radar comme moyen « trop exclusif » de navigation par visibilité réduite en phase d’approche des espars n’a « semble-t-il » pas été corrélée avec les informations de l’ECDIS. De même, l’échelle des 0,5 mille n’a « semble-t-il » pas ou peu utilisé cette échelle permettant de lever le doute plus facilement sur la détection des espars. « Ces choix constituent un second facteur sous-jacent » de l’échouement. La présence de passagers en passerelle, dans un contexte de navigation par visibilité réduite à proximité de la côte, est un facteur « qui a contribué à un manque de vigilance en passerelle »
Rappels et recommandations bienveillantes
Le BEA rappelle aux capitaines et officiers de quart de navires « à passagers exploités sur des liaisons côtières qu’il convient d’adapter en permanence sa vitesse en fonction des conditions rencontrées et de renforcer la veille en cas de mauvaise visibilité ». Les règles 19b et 5 du Ripam concernent tous les navires, oserait-on ajouter.
Même dans une zone parfaitement connue, la corrélation des informations transmises par les aides à la navigation doit être « systématique », souligne le BEA. Enfin, il insiste sur la nécessité d’analyser les risques de voie d’eau « avant » d’entreprendre une manœuvre de déséchouement.
Le BEA finit donc par recommander au capitaine « d’organiser la préparation de l’escale suffisamment à temps pour ne pas se priver de la présence du timonier à la passerelle en phase d’approche en cas de mauvaise visibilité ». Il recommande à l’armement d’élaborer des procédures écrites pour que soient « préservées, en passerelle, la qualité de la veille et la concentration nécessaire à la pratique de la navigation, en particulier pendant les manœuvres et dans les zones de navigation délicates ». Il invite tout le monde à lire ou relire son rapport sur le talonnage du Marion-Dufresne publié en novembre 2013. Une fois le manuel des routes achevé, le BEA demande à l’exploitant de prévoir la matérialisation et la mémorisation des ponts remarquables sur l’ECDIS et les radars.
La présence de passagers à la passerelle du Marion-Dufresne-II une demi-heure avant son talonnage en novembre 2012 avait été signalée par le BEA.
Le communiqué auquel vous avez échappé
Le BEAmer a jugé inutile de rappeler à ce capitaine ce que le secrétaire d’État chargé des Transports a rappelé à celui du Mega-Express-V: « Le code des transports impose au capitaine du navire de signaler ce type d’incident ou d’accident au préfet maritime, sous peine de sanction. »
Concernant le ferry de Corsica Ferries, des premières « rumeurs » laissent entendre que si le Cross n’a effectivement pas été immédiatement prévenu, un administrateur des Affaires maritimes l’a été le lendemain et que l’information s’est perdue en route. Un exercice de type secnav en vraie grandeur serait le bienvenu en Méditerranée avec diffusion obligatoire du retex; un tabou que les préfectures maritimes tardent à lever.
Pour attirer plus de navires, l’Inde prévoit d’alléger les restrictions de cabotage
Le gouvernement indien prévoit de mettre au point une nouvelle politique afin d’augmenter le mouvement des navires le long des côtes du pays. Les réglementations indiennes de cabotage autorisent pour le moment uniquement les navires battant pavillon indien, les navires étrangers devant pour l’instant faire la demande d’une licence temporaire au Conseil d’administration générale du transport maritime. La levée de cette restriction permettrait une augmentation des mouvements le long des côtes indiennes, et les navires étrangers pourraient ainsi transporter des conteneurs vides sans aucune restriction sur le littoral. « Il n’y a actuellement que 15 navires concernés par le commerce côtier. La pénurie de conteneurs limite la capacité des navires indiens dans le fret. Cette mesure permettra également d’augmenter le transport maritime côtier en comblant le manque d’approvisionnement dans le segment du conteneur », a déclaré un représentant du gouvernement. Le ministère des Transports indiens débattra de cette proposition avec les divers actionnaires, notamment avec le Conseil d’administration général du transport maritime.