« À ce jour, cet accord n’apparaît pas comme étant susceptible, par une réduction de la concurrence, de générer une hausse déraisonnable des coûts de transports ou une réduction déraisonnable de l’offre de services de transports », selon les lois américaines applicables. Par ailleurs, « les parties à l’accord devaient être soumises à un suivi spécifique de leurs activités afin de s’assurer que le P3 respectera bien les règles du Shipping Act ».
L’accord donné par la FMC reste donc valide tant que les partenaires n’auront pas officiellement retiré leur accord, souligne l’Agence américaine chargée de la concurrence dans le secteur maritime. Son président, Mario Cordero, enfonce le clou: « Les alliances portant sur des échanges d’espaces de navires offrent des avantages potentiels en matière de réduction des coûts de transport et d’efficacité environnementale. Cela vient de l’exploitation coordonnée de navires de plus grandes capacités et plus récents. Pour la FMC, l’évaluation de pareils accords continuera à se faire en pesant les avantages et les inconvénients d’une concentration en ce qui concerne les zones desservies, les horaires et le besoin en capacités de transport. » Le président veut-il signifier par là que le ministère chinois du Commerce utilise une méthode d’évaluation moins rationnelle?
Le 19 juin, le commissaire Doyle a fait part de sa petite musique personnelle en rappelant que la FMC n’avait aucune raison de s’intéresser au segment Europe-Asie. Sur le marché Extrême-Orient/Amérique du Nord et Europe/Amérique du Nord, la part du marché du P3 aurait été de 23 % dans les deux cas. La FMC a reçu des assurances de la part des trois initiateurs du P3 que l’intérêt de tous les « petits » fournisseurs (américains) des membres de cette alliance serait sauvegardé. Le commissaire Doyle a également rappelé le contrôle interne auquel devait être soumis le P3 par la FMC afin de prévenir tout dérapage.
47 % de part de marché Extrême-Orient/Europe
« Selon les informations disponibles, dans un premier temps, le ministère chinois du Commerce a estimé que la part de marché du P3 aurait dépassé les 30 %. Dans son analyse, il a trouvé que la part de marché serait de 47 % entre l’Extrême-Orient et l’Europe. Il a donc rejeté la demande d’autorisation », a précisé le commissaire Doyle.
Traduite et publiée par The Journal of Commerce, la décision chinoise explique que l’indice de concentration dit de Herfindahl-Hirschman relatif au P3 serait passé d’environ 890 (secteur peu concentré) à près de 2 240 (très concentré), avec donc une variation de 1 350 points. Ce qui ne pouvait que déboucher sur un examen approfondi du dossier par toutes les autorités.
Cette affaire de parts de marché est bien intéressante. En effet, dans son communiqué d’octobre 2013 invitant les autorités chinoises et européennes à examiner collégialement le dossier à Washington, la FMC a mentionné, selon les informations fournies par Mærsk, les chiffres suivants: environ 42 % en sortie d’Extrême-Orient vers l’Europe (ce qui aurait pu interpeller la Commission européenne), 24 % vers les États-Unis et entre 40 % et 42 % sur le transatlantique (même remarque pour la Commission européenne et pour la… FMC). L’Agence américaine a donc bénéficié d’informations complémentaires.
Autre perspective, celle du marché réellement pertinent. En août 2014, Chris Welsh, secrétaire général du Global Shippers’ Forum, a expliqué dans le Lloyd’s List que si l’on ne prenait que les porte-conteneurs de 16 000 EVP à 18 000 EVP, la part de marché du P3 serait de 40 % à 45 %. Ces navires ne sont exploités qu’entre l’Extrême-Orient et l’Europe. En distinguant le Nord et le Sud-Europe, on arriverait à une part de marché encore plus importante en Méditerranée. Encore une fois, la Commission aurait pu s’en émouvoir, d’autant que l’ex-futur P3 n’était pas un simple accord d’affrètements d’espaces croisés entre armateurs. Il liait durant dix ans ses fondateurs, sans possibilité d’en sortir avant huit ans. Il se proposait de négocier en bloc avec les fournisseurs de prestations portuaires et terrestres. Ce que la FMC a interdit sur son territoire. On lirait donc avec intérêt l’analyse faite par la Commission européenne sur le P3 en sortie d’Asie, si cette dernière était disponible.
Victoire chinoise à la Pyrrhus?
La décision chinoise « est une victoire à la Pyrrhus pour les compagnies chinoises », a estimé Paul Dewberry, analyste à la Bank of Ameria Corp’s Merrill Lynch dans une note datée du 17 juin dont s’est fait l’écho l’agence Bloomberg. En effet, l’abandon du P3 devrait prolonger la crise que subissent les compagnies maritimes en général, et chinoises en particulier. Faible croissance de la demande mondiale de transport et forte augmentation volontaire de l’offre nuisent à la rentabilité de tous, y compris de China Cosco et de China Shipping Container. Sur les cinq dernières années, elles ont enregistré, au total, trois ans de pertes. 2014 devrait être du même tonneau, selon les analystes consultés par Bloomberg.