En mars 2008, le thème tendance portait sur les conséquences de la disparition des conférences le 18 octobre de la même année, et la possibilité pour les chargeurs et les transporteurs de trouver l’harmonie dans un marché pur et parfait. Sept ans plus tard, le sujet de réflexion est « une nouvelle donne pour le transport maritime de lignes régulières. Quelles opportunités pour les acteurs du secteur maritime? ».
Pas de référence explicite au P3, G6 et autre super-alliance Est-Ouest, mais Philippe Bonnevie, délégué général de l’AUTF, a rapidement dissipé la moindre possibilité de doute: en sortie du Nord-Chine vers l’Europe, la capacité de transport du P3 représentera 80 % de l’offre. La politique commerciale de Mærsk, MSC et CMA CGM est différente vis-à-vis des produits chimiques. En chargeant sur les mêmes navires, la politique vis-à-vis des chimiques ne pourra qu’être commune. Rappelons que MSC est réputée pour accepter facilement ces produits. Le représentant des chargeurs français s’est félicité du monitoring imposé par la FMC pour accepter le P3. Non seulement la Federal Maritime Commission disposera d’une idée précise du fonctionnement du P3 mais, comme il est obligatoire aux États-Unis, elle a toutes les grilles tarifaires proposées par les compagnies.
Représentant le groupe Lesaffre International, spécialisé dans les levures (7 000 salariés dans le monde et 45 sites de production), Frédéric Chabasse a présenté une approche plus pragmatique. En réduisant le nombre de départs, les alliances réduisent également les possibilités de charger sur le premier navire venu en cas de lettre de crédit dont la date limite de validité est très proche. Autre crainte, la diminution du nombre de sédentaires affectés au service documentaire. La qualité de la rédaction des B/L ou de la justesse de la facturation à la suite d’un appel d’offres risque de se dégrader.
Hervé Cornède, directeur commercial et marketing du GIE Haropa regroupant certaines fonctions des ports du Havre, Rouen et Paris, est ravi des choix du P3, du G6 et de l’alliance CKYH + E, de concentrer leurs dessertes au Havre, permettant ainsi d’avoir un meilleur transit time (à l’import) qu’à Anvers ou Rotterdam. Les conséquences du choix du possible manutentionnaire unique au Havre, et ailleurs, des navires du P3 n’ont pas été publiquement évoquées.
Pour Vincent de Saedeleer, vice-président du port de Zeebrugge dont 16 % seulement du trafic conteneur concerne la Belgique, les alliances ne sont pas forcément une bonne chose pour les places portuaires. Mais que peuvent-elles réellement y faire?
Une ode aux leaders mondiaux
Unique représentant des transporteurs maritimes, Raymond Vidil, p.-d.g. de Marfret et, par ailleurs, président d’Armateurs de France, ne pouvait évidemment pas entrer dans le détail d’une alliance qui lui est totalement étrangère. Il s’est donc lancé dans une ode à ces « trois leaders mondiaux d’origine européenne qui acceptent d’abandonner une partie de leur indépendance » pour s’allier.
Les armateurs et leurs marins ont bravé tous les dangers pour permettre la mondialisation dont profitent les chargeurs. Et ces derniers n’ont de cesse de les critiquer. Leur manque de reconnaissance et leur faible patriotisme portuaire et armatorial fendent le cœur de Raymond Vidil. Fin de l’intervention et fin de la table ronde, suivies d’applaudissements nourris dans une salle de plus de 200 participants.
Télescopages
D’autres tables rondes, aussi chargées que la précédente, ont été à la source d’étranges télescopages. Ainsi la posture habituelle des chargeurs est de s’indigner des conséquences néfastes du slow steaming sur leurs coûts de stocks. Mais on apprend par ailleurs que les importateurs comme Leroy Merlin n’ont de cesse de trouver des aires de stockage les plus économiques possibles pour leurs conteneurs pleins car ils sont incapables de dépoter rapidement tous les conteneurs qu’ils reçoivent d’Extrême-Orient. Thème déjà abordé en mars 2012 dans un colloque sur le slow steaming. Selon CMA CGM, en 2011, la durée moyenne de séjour à quai pour les dry et les reefers étaient de 6,7 jours. En novembre 2006, lors du forum de l’European Shippers’ Council, un représentant du port de Hambourg a exhorté les importateurs à mieux s’organiser car les terminaux des ports maritimes et fluviaux étaient saturés de conteneurs en attente de dépotage.
D’où la question à ne pas poser: qui décide de charger en Chine un volume de conteneurs que l’on ne peut pas traiter correctement à destination? L’optimisation de la chaîne d’approvisionnement de la grande distribution serait largement perfectible.