« Une inondation en Île-de-France de l’ampleur de la crue historique de 1910 pourrait représenter un choc majeur et un défi sans précédent pour les politiques publiques », précise en introduction l’étude sur « la gestion du risque d’inondation de la Seine en Île-de-France » de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), diffusée le 24 janvier. Cette revue a été réalisée par l’OCDE à la demande de l’Établissement public territorial du bassin Seine-Grands Lacs en partenariat avec le ministère de l’Écologie et le Conseil régional d’Île-de-France (IDF). D’après les évaluations des experts de l’OCDE, « les impacts d’une crue majeure de la Seine en IDF pourraient toucher jusqu’à cinq millions de citoyens » et coûter « entre 3 Md€ et 30 Md€ de dommages directs ». Sachant qu’une crue est « considérée majeure sur la Seine lorsqu’elle atteint le niveau de 6 m sur l’échelle d’Austerlitz, et exceptionnelle au-dessus de 7 m », indique l’OCDE. La crue de 1910 a atteint 8,52 m. Avec un dernier épisode datant de 1955, « aucune crue majeure n’a eu lieu depuis près de 60 ans, contribuant à anesthésier la mémoire collective du risque », continue l’OCDE. Pourtant, la croissance urbaine, la densité des réseaux de transport ou d’énergie en IDF ont accru l’exposition au risque, explique l’étude, malgré les lacs-réservoirs construits en amont et les autres protections locales existantes. « L’IDF constitue un centre politique, économique et culturel de niveau national », rappelle l’OCDE. La région accueille le siège du gouvernement, de nombreuses entreprises ou encore de nombreux centres de recherche et de décisions. Composée de huit départements et de plus de 1 200 communes, elle compte près de 12 millions d’habitants, soit près de 20 % de la population totale du pays. Elle représente le tiers de l’activité économique du pays et la deuxième économie de la zone Euro. Son PIB total s’élève à 572 Md€ en 2009, représentant 30 % du PIB national et 5 % du PIB européen. Elle regroupe un bassin de six millions d’emplois. « Elle est un nœud logistique important pour toute l’économie française », affirme l’étude.
Un grand nombre d’entreprises en jeu
Dans un tel contexte, au-delà de la zone directement inondable, une crue majeure aurait des impacts sur un territoire très étendu, du fait de l’inondation plus large des sous-sols et des caves de la zone urbaine. Elle aurait des conséquences sur les réseaux critiques que sont l’électricité, l’eau, les communications et les transports. « Ce sont les effets conjugués de la présence de l’eau et l’interruption – ou le fonctionnement en mode dégradé – de ces réseaux qui affecteraient le bien-être de la population, le fonctionnement du gouvernement, des services publics, de la vie économique de l’IDF et au-delà. » La distribution d’électricité « serait affectée de façon significative avec près d’un quart des infrastructures de transformation inondée ou coupée préventivement ». Les transports publics « seraient affectés sur une large portion » avec 140 km du réseau métropolitain fermés préventivement sur un total de 250 km, l’interruption des RER, des gares SNCF perturbées car situées en zone inondable. « Le réseau routier serait presque bloqué: les ponts interdits à la circulation rendant impossible le passage entre rive droite et rive gauche, cinq autoroutes et les autres axes majeurs inaccessibles ». L’inondation concernerait directement plus de 55 000 entreprises et plus de 622 000 emplois dans la seule zone inondable. Ces entreprises pourraient voir leurs locaux et leurs outils de production endommagés et tout ou partie de leurs stocks détruits. Les pertes d’exploitation qui en découleraient pourraient aussi être aggravées par l’interruption des réseaux d’électricité, de communication et d’eau, qui toucheraient par ailleurs bien au-delà de la zone inondable et affecteraient donc de plus nombreuses entreprises. Le fonctionnement dégradé des transports publics empêcherait de nombreux salariés de se rendre sur leur lieu de travail. Ces effets pourraient durer sur une période assez longue, la décrue de la Seine étant généralement assez lente, impactant d’autant l’activité des entreprises, quelle que soit leur taille, PME ou grands groupes. Le secteur des services, très présent en IDF, serait largement affecté, avec des centres d’affaires comme celui de la Défense, situé en zone vulnérable, non loin du fleuve. Le secteur industriel et plus particulièrement l’automobile connaîtrait aussi de fortes perturbations. « Peugeot, Renault, Dassault, Snecma ont des usines implantées historiquement le long des berges de la Seine et verraient leur fonctionnement affecté par la crue. Et ce d’autant plus que leurs chaînes d’approvisionnement, soumises aux logiques de flux tendu et de zéro stock, seraient aussi perturbées par l’impact sur les différents réseaux critiques. » Les répercussions en chaîne de ces interruptions pourraient avoir « un impact plus large sur les sous-traitants et clients en France et à l’étranger ».
Un impact possible pendant cinq ans
Les conséquences d’une crue majeure en IDF apparaissent ainsi « constituer un choc de grande ampleur avec un impact macroéconomique significatif en termes de PIB, des répercussions en termes d’emplois et sur les finances publiques », sur une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. Face à un tel enjeu, la première recommandation de l’OCDE porte sur la nécessité de « résoudre les défis de gouvernance pour permettre une mise en œuvre pleinement efficace des mesures de réduction effective du risque d’inondation en IDF. La gouvernance complexe de ce territoire stratégique a en effet été affectée par les différentes strates de la décentralisation qui rendent difficiles la mise en œuvre de politiques transversales ». L’OCDE souligne que le projet Grand Paris, « avec ses investissements à long terme, offre une opportunité à la fois pour l’amélioration de la gouvernance, pour un meilleur développement urbain et des infrastructures de transport ». Une autre recommandation de l’étude met en avant l’importance de ranimer la mémoire collective des inondations de la Seine et de « développer une culture du risque parmi les citoyens, les entreprises, les acteurs économiques et politiques ». L’OCDE aborde aussi la question du financement de la prévention du risque dans un contexte de tension sur les finances publiques. Le principe général du « bénéficiaire-payeur » est évoqué dans « une approche financière cohérente fondée sur l’efficience économique et la prise en compte du long terme et de l’équité ». Enfin, la prévention du risque d’inondation en France s’inscrit dans une démarche européenne avec la mise en œuvre de la « directive relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation ». Ce texte a fixé un certain nombre de mesures à prendre par les États-membres sur ces questions entre 2013 et 2015. Selon l’étude, la France est en train de les mettre en œuvre. « Il appartient désormais aux autorités françaises de choisir quelles sont les recommandations de l’OCDE les mieux à même de contribuer à une stratégie ambitieuse de gestion du risque d’inondation de la Seine », conclut l’OCDE.