Pertes de conteneurs en mer: état des lieux

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La perte de conteneurs en mer avait été mise sur le devant de la scène durant l’hiver 1993/1994, lorsque des détonateurs (navire Marie-H suspecté) et des pesticides (chargés dans un des 88 conteneurs perdus par le Sherbro) ont été retrouvés sur les plages de l’Atlan­tique et de la mer du Nord. Au cours d’un week-end de février 2006, 185 conteneurs provenant de cinq navires tombent au large des côtes Atlantique et en mer du Nord. En 2007, le MSC-Napoli perd 117 boîtes après son échouage sur une plage anglaise. L’échouement du MSC-Rena, en octobre 2011, entraîne la perte de près de 300 conteneurs au large de la Nouvelle-Zélande. Le Mol-Comfort, cassé en deux en juin 2013 dans l’océan Indien, sombre avec 4 100 conteneurs. Au-delà de ces cas médiatisés, les pertes sont régulières: on estime en effet à 10 000 le nombre de conteneurs perdus en mer à travers le monde chaque année (voir encadré). Ces boîtes peuvent flotter entre quelques heures et plusieurs jours, voire plusieurs semaines, selon leur type, leur état et le poids de leurs marchandises, avant de couler ou de s’échouer sur les côtes. Elles représentent un danger pour la navigation mais aussi pour la pêche au chalut (risque de croche) et sont une menace pour l’environnement. Hors accident du navire lui-même, les causes de désarrimage sont multiples et se cumulent généralement. Elles sont liées à:

– de mauvaises conditions météorologiques qui font subir des efforts excessifs aux piles de conteneurs en pontée et donc aux systèmes de saisissage qui peuvent casser ou créer du mou. Les grands porte-conteneurs de dernière génération sont plus sensibles au roulis paramétrique qui peut générer une gîte importante et de fortes accélérations susceptibles d’entraîner le basculement des piles les unes sur les autres d’un côté ou de l’autre;

– des défauts d’arrimage et de saisissage: utilisation de matériel défaillant ou mal entretenu, corrodé ou usé, manque de contrôle effectif des opérations ne permettant pas d’éviter des erreurs humaines;

– des surcharges pondérales dans les hauts des piles de conteneurs.

Ce dernier point a particulièrement fait débat. On sait que les ship planners travaillent sur la base des déclarations de poids des chargeurs pour répartir les conteneurs à la verticale. Or ces déclarations s’avèrent souvent inférieures à la réalité, reposant sur des estimations erronées ou des dissimulations (il est moins coûteux de « bourrer » un 20’ au-delà de sa charge maximale plutôt que d’utiliser un 40’ ou un deuxième conteneur, par exemple). Cela peut avoir pour conséquence des écarts de plusieurs tonnes entre le poids déclaré et le poids réel. Pour y remédier, l’OMI a adopté en septembre 2013 un projet d’amendement de la convention Solas afin de rendre obligatoire la pesée des conteneurs avant leur chargement à bord ou de chaque élément introduit dans le conteneur à l’empotage. Un projet qui suscite le mécontentement des chargeurs, qui la jugent inopportune, et la satisfaction des transporteurs maritimes, qui y voient un progrès. Un vote final est prévu en novembre 2014, pour une mise en œuvre souhaitée à partir de juillet 2016. Restera à garantir le respect de cette obligation afin qu’elle ne vienne pas seulement s’ajouter à un corpus de règles de sécurité déjà important, mais qui manque souvent d’application effective.

Signalement, information, détection, suivi

Pour l’heure, la gestion des pertes de conteneurs en mer pose un certain nombre de difficultés. Il faut d’abord que le capitaine du porte-conteneurs signale la perte de conteneurs comme lui en font obligation l’OMI et la Commission européenne. Mais, il peut arriver que le capitaine ne découvre les manquants qu’une fois la tempête passée (comme dans le cas du Mærsk-Salina) ou même au port de destination, ou encore que l’information ne soit pas diffusée pour éviter d’avoir à rendre des comptes.

Il faut ensuite recueillir le plus de renseignements possibles sur la nature des marchandises perdues. Le capitaine du Mærsk-Salina a ainsi rapidement envoyé au Cross Corsen le plan de chargement du navire et son Bay Plan, avec indication des conteneurs manquants, ainsi que les manifestes marchandises correspondant, mentionnant leur contenu. Néanmoins, ces documents reposent encore une fois sur les déclarations des chargeurs, pas toujours fiables (les dangereux ne sont pas toujours déclarés comme tel, pour éviter des surcoûts ou par négligence) et souvent peu précises.

Le Cross informe ensuite les navigateurs via un avis Avurnav notamment, mais il est difficile d’estimer avec certitude la dérive des boîtes et la zone de danger. Puis le préfet maritime décide des mesures nécessaires.

En principe, la loi prévoit que c’est au propriétaire de la marchandise trouvée en mer, devenue « épave maritime », ou à l’armateur (exploitant ou propriétaire du navire) d’intervenir pour mettre fin au danger. Mais ce n’est jamais le cas dans la pratique. C’est alors à l’État d’agir en vertu de sa mission de police générale et en tant que garant de la sécurité en mer. Ainsi, pour le Mærsk-Salina, la Préfecture maritime de l’Atlantique a dépêché un hélicoptère pour évaluer la situation du navire et un avion de la Marine nationale pour tenter de repérer les boîtes en mer, sans succès. La plupart du temps, celles-ci ne sont en effet pas retrouvées. Mais les seules opérations de recherche représentent déjà des sommes importantes. Pour fixer les idées, le coût d’une heure de vol d’un Caïman s’élève à environ 10 000 €. Et lorsqu’il s’agit d’organiser une récupération, on dépasse facilement la centaine de milliers d’euros.

L’armateur devrait payer la récupération

Jusqu’à une période récente, il était très compliqué pour l’État d’en obtenir le remboursement, à défaut de régime spécifique applicable au cas particulier des conteneurs perdus en mer. Soit il invoquait le régime des épaves maritimes, mais ne pouvait se retourner que contre le propriétaire de la marchandise, généralement introuvable ou insolvable, soit il invoquait les dispositions du code de l’environnement pour se retourner contre l’armateur, mais seulement s’il pouvait prouver qu’il était intervenu pour mettre fin à un danger grave d’atteinte au littoral (première condition), causé par des substances nocives ou dangereuses (seconde condition). Depuis la loi du 17 mai 2011, l’article L 218-72 du code de l’environnement vise désormais « le cas de perte d’éléments de la cargaison d’un navire, transportés en conteneur » et dispose que l’armateur sera débiteur des frais exposés par l’État dès lors que ce dernier a agi pour mettre fin à un « danger grave, direct ou indirect, pour l’environnement ». L’armateur se trouve donc davantage responsabilisé mais l’application du nouveau texte dépendra de l’interprétation qu’en feront les juges.

Pour conclure, on observe qu’alors que la capacité des porte-conteneurs ne cesse de croître (jusqu’à 18 000 EVP) et, avec elle, le risque de perdre des boîtes en pontée, s’est exprimée une volonté de meilleure prévention et gestion du problème malgré la difficulté de mise en œuvre. Dans cette lignée, le site internet de l’association Juris­plaisance répond aux questions des plaisanciers sur les recours en cas de dommages causés par un conteneur à la dérive et l’appropriation des biens éventuellement retrouvés (www.jurisplaisance.free.fr).

auteur d’un mémoire sur « La prévention et la gestion des pertes de conteneurs en mer » (2009-2010), ancienne stagiaire à l’OMI (2010), juriste à la Division sécurité maritime du ministère chargé de la Mer (2011) et au service contentieux de MSC France (2013).

De 675 000 à 10 000 boîtes à l’eau

Le chiffre de 10 000 conteneurs tombés à l’eau chaque année est le « plus couramment » repris, a souligné Xavier Kremer, du service Intervention du Cedre en septembre 2008, lors d’un atelier « Lost Cont », projet européen visant à répondre aux problèmes posés par les pertes en mer. Mais rien ne permet de confirmer réellement la fiabilité de cette donnée, a-t-il ajouté.

En août 2011, le Word Shipping Council, qui regroupe les principales compagnies conteneurisées, a rendu publique sa propre estimation des pertes en mer: environ 350 conteneurs par an, hors accident grave, et de l’ordre de 675, en comptant les pertes massives.

Dans un tout autre ordre d’idée, la coïncidence entre l’accident du Mærsk-Salina et le départ d’une course en solitaire fournit l’occasion de rappeler que la règle 5 du Ripam s’applique à « tout navire (qui) doit en permanence assurer une veille visuelle et auditive appropriée, en utilisant également tous les moyens disponibles qui sont adaptés aux circonstances et conditions existantes, de manière à permettre une pleine appréciation de la situation et du risque d’abordage ». Les skippers, les organisateurs et l’État du port de départ pourraient utilement s’en rappeler.

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