Selon ses membres, les avantages de la P3 comprendraient, entre autres, des livraisons plus efficaces et des coûts réduits pour les clients. Cependant, l’alliance proposée a suscité l’inquiétude des concurrents et également des autorités de la concurrence des États-Unis, de l’Union européenne (UE) et de Chine. La principale préoccupation est que l’alliance et les opérations de partage de ports conduiront à la possible divulgation d’informations commercialement sensibles et à l’augmentation coordonnée des prix. Compte tenu de la nature multijuridictionnelle du projet d’accord de la P3, un long examen réglementaire par un certain nombre d’autorités semble imminent.
Le 22 octobre, le président de la Federal Maritime Commission des États-Unis a invité ses homologues européens et chinois à participer à un sommet mondial pour discuter de l’alliance P3. Les organismes de réglementation y parleront de leurs rôles réglementaires respectifs au regard de l’impact du projet d’alliance.
La Commission aurait envoyé des questionnaires confidentiels aux membres de l’alliance P3 à la fin du mois de juillet. Les questionnaires requéraient certaines informations telles que le nombre de navires qui seront exploités par l’alliance, ou le nombre de routes et de ports à desservir. La Commission va devoir désormais déterminer s’il faut ouvrir une enquête officielle.
La sensibilité de la Commission et des États membres concernant les accords de fixation des prix dans le secteur du transport maritime est évidente. Le 17 mai 2011, la Commission a procédé à des perquisitions dans les locaux de plusieurs lignes de transport de conteneurs. Les conséquences de ces perquisitions n’ont pas encore été déterminées. Par ailleurs, en février 2012, l’autorité espagnole de la concurrence a infligé une amende de 54 M€ à cinq compagnies maritimes pour avoir participé à un cartel de fixation des prix et de partage du marché en ce qui concerne les transports de passagers et de marchandise. Toutefois, la manière dont la Commission va maintenant examiner les accords de coopération de route tels que la P3 est moins claire.
Conformité à l’article 101-1 du TFUE
Le cadre juridique applicable en droit européen de la concurrence à l’accord de la P3 est l’article 101-1 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’UE) et le règlement (CE) no 906/2009 de la Commission du 28 septembre 2009 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à certaines catégories d’accords, de décisions et de pratiques concertées entre compagnies maritimes de ligne (« consortiums »).
L’article 101-1 (règle de concurrence applicable aux entreprises) s’applique à un accord de coopération horizontale (ce qui signifie un accord entre concurrents réels ou potentiels fonctionnant au même niveau de l’offre ou de la chaîne de distribution) entre deux ou plusieurs opérateurs indépendants du marché qui a pour « objet » ou « effet » de produire une restriction de la concurrence. En pratique, il n’y a pas besoin de démontrer que le comportement a un effet anticoncurrentiel sur le marché s’il s’agit d’une « restriction caractérisée » selon la définition, dans l’article 4, du règlement de 2009 sur les consortiums (énumérés ci-dessous). Le projet d’accord de la P3 pourrait tomber sous le coup de cet article 101-1.
Deux conditions pour le règlement consortia
Le règlement de 2009 sur les consortiums s’applique aux services internationaux de transport maritime de marchandises, principalement par conteneurs, et ouvre la possibilité de participer à des coentreprises ou des consortiums sauf en cas d’activités interdites. En effet, pour que le règlement sur les consortiums soit applicable, deux conditions doivent être remplies:
1. Conformément à l’article 4, il ne doit y avoir aucune « restriction caractérisée » de la concurrence dans le projet d’accord de la P3, ce qui implique aucune fixation des prix de vente des services maritimes de ligne à des tiers, aucune limitation de capacité ni des ventes – à l’exception de l’adaptation des capacités autorisées (celles qui sont faites en réponse aux fluctuations de l’offre et de la demande) –, ni aucune répartition des marchés ou des clients.
2. Conformément à l’article 5-1, les parts de marché cumulées du consortium ne doivent pas dépasser 30 % (l’exemption continuera à s’appliquer si, pendant une période de deux années civiles consécutives, le seuil de part de marché n’est pas dépassé de plus d’un dixième).
Même si la Commission estime que l’exemption prévue dans le règlement de 2009 sur les consortiums ne s’applique pas, il est toujours possible pour les membres de l’entente P3 de bénéficier de l’exemption figurant à l’article 101-3 du TFUE. Chaque partie à l’accord devra procéder à une évaluation individuelle afin de déterminer si le projet d’accord répond à certaines conditions. La charge de la preuve incombant aux parties, elles devront mettre en avant les arguments favorables en droit de la concurrence et toutes autres considérations d’efficacité afin de convaincre la Commission que le projet d’accord doit bénéficier de l’exemption de l’article 101-3.
Les dispositions de l’article 101-1 pourront alors êtres déclarées inapplicables si la Commission estime que le projet P3 contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, ni donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence.
Étant donné que la disposition envisagée pourrait conduire à une réduction de la capacité en raison de la diminution prévue du nombre de navires, il sera peut-être difficile pour les entités concernées de convaincre la Commission. La Cour de Justice a déjà déclaré à cet égard qu’« un accord doit contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique. Cette contribution s’identifie non pas à tous les avantages que les entreprises participant à cet accord en retirent quant à leur activité, mais à des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients qui en résultent pour la concurrence » (GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a.).
Les membres de l’alliance P3 pourront aussi avoir du mal à convaincre la Commission que la réduction prévue de la capacité répond à la condition établie à l’article 101-3 qui prévoit que les restrictions sont « indispensables pour atteindre » les objectifs des membres de la P3. Toutes les conditions énumérées à l’article 101-3 sont cumulatives. Par conséquent, si l’une d’elles n’est pas établie, l’exemption ne pourra pas être mise en œuvre. Les entités concernées doivent donc impérativement prouver que l’exemption de l’article 101-3 peut s’appliquer à leur projet d’accord.
Sachant que l’UE cherche de plus en plus à réduire le traitement spécial qui était traditionnellement accordé au secteur du transport maritime, il n’est pas certain qu’elle consentira à accorder une exemption au projet d’accord de la P3. L’abrogation en 2006 du règlement no 4056/86 qui accordait des exemptions en faveur des conférences maritimes laisse penser que l’UE ne renouvellera pas nécessairement le règlement de 2009 sur les consortiums après son expiration le 25 avril 2015.
La Commission devrait bientôt entamer un processus de consultation publique au sujet d’un éventuel renouvellement du règlement sur les consortiums. C’est donc à cette date que son avis préliminaire sur la question sera connu. En attendant, le débat et l’incertitude concernant le statut juridique du projet d’accord de l’alliance P3 sont susceptibles de persister.
Article 101 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne
1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à:
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction;
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements;
c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement;
d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;
e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.
3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables: à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises; à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises; et à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées; qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence.