Libre prestation de service dans les ports et transparence financière

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Le 16 octobre, l’Institut du droit international des transports (IDIT) a organisé au Havre un déjeuner-débat sur la proposition de règlement « établissant un cadre pour l’accès au marché des services portuaires et la transparence financière des ports ». La présentation de cette troisième tentative de la Commission européenne de faciliter l’accès aux professions portuaires avait été confiée aux bons soins de M€ Guillaume Brajeux du cabinet Holman Fenwick Willan France.

Considérant que les ports maritimes jouent un rôle essentiel dans le commerce international de l’UE et les transports intra-européens, la Commission estime qu’un certain nombre d’entre eux « affiche en permanence des performances insuffisantes ou témoignent d’un déclin structurel ». Les critères de mesure des performances ne sont pas précisés. La Commission note par exemple que trois ports (Rotterdam, Hambourg et Anvers) voient transiter 20 % des marchandises.

Après un long processus de consultations des parties concernées par l’activité portuaire, la Commission décide de relancer une machine qui avait déjà connu deux échecs. En 2003 et en 2006, les « paquets portuaires » 1 et 2, projets de directive, sont rejetés. Les dockers s’étant assez largement mobilisés pour cela.

La Commission revient au combat avec un projet de règlement. Lequel, s’il est adopté, s’appliquera immédiatement, sans les délais et pertes en ligne dus aux transpositions nationales. La Commission a choisi l’option de travail « concurrence réglée et autonomie des ports ». Son étude d’impact met en avant une réduction des coûts (10 Md€ jusqu’en 2030) de développement du cabotage maritime, de réduction de la congestion routière et de la création d’emploi. Elle ne précise cependant pas les outils qui permettront de mesurer objectivement tous ces effets positifs.

Sont concernés les 319 ports membres du réseau transeuropéen de transport. Sont explicitement visés les services de soutage énergétique des navires; de manutention des marchandises; de dragage; de lamanage, rendus aux passagers; les installations de réception portuaires, le pilotage (portuaire; celui de haute mer étant explicitement exclus) et le remorquage.

Pour éviter de dégrader le « dialogue social », le projet de règlement précise cependant que les règles et exigences existantes en matière de manutention des marchandises et de services passagers n’ont pas à être modifiées. Elles seront « clarifiées » dans une communication.

Cette sage décision laisse perplexe. Quelle est la cohérence économique de ce projet de règlement sachant que, selon la Commission elle-même, 45 % à 60 % du coût de passage portuaire sont dus à la manutention des marchandises? Les services technico-portuaires représentant entre 10 % et 15 % de ce coût. Et les redevances d’infrastructure portuaires entre 5 % et 10 %.

Encadrement de la libre prestation de service

La Commission décline ainsi toute une série de mesures destinées à rendre applicable la libre prestation de services aux professions portuaires visées. Le gestionnaire de port pourra imposer des exigences minimales concernant uniquement la qualification professionnelle, l’équipement nécessaire, la sécurité maritime, etc. Ces exigences ne devront pas constituer une entrave commerciale. Elles devront être « transparentes, non discriminatoires, objectives et pertinentes […] »

La libre prestation de service pourra être assortie d’une limitation du nombre de prestataires si les espaces portuaires sont insuffisants ou si l’absence de limitation fait obstacle à l’exécution d’un service public.

L’autorité compétente pourra décider de fournir elle-même un service portuaire dans le cadre d’obligations de service public en cas de nécessité de limiter le nombre de prestataires.

Un article précise que le projet de règlement est « sans incidence » sur le droit social et le droit du travail de l’État membre. Il ajoute que s’il était imposé aux prestataires de services portuaires l’obligation de respecter certaines normes sociales, la liste du personnel concerné devra être précisée ainsi que les conditions d’emploi de ces travailleurs.

Transparence financière

Le chapitre III du projet a pour thème « transparence financière et autonomie ». Schématiquement chaque euro versé, directement ou indirectement, par un pouvoir public à une autorité portuaire doit pouvoir être repérable dans la comptabilité du port. Lorsque l’autorité portuaire bénéficie de fonds publics et qu’elle fournit elle-même des services portuaires, elle devra tenir des comptes séparés pour chaque activité et imputer « correctement » tous les produits et les charges, de « manière cohérente et objectivement justifiable ». Toutes les formes de soutien financier public sont concernées (à l’exception des aides fiscales; ce qui n’est pas neutre, au moins en France). Toutes les comptabilités devront être mises à la disposition de la Commission européenne et de l’autorité de contrôle indépendante que les États sont invités à mettre en place.

Le projet définit également les principes de calcul des redevances de services et des infrastructures portuaires. Il est toujours question de « pertinence, d’objectivité, de transparence et de non-discrimination ». Réunis au sein d’un « comité consultatif des utilisateurs du port », les clients des services portuaires et des gestionnaires des ports devront être « consultés » annuellement. Au plus tard trois ans après l’entrée en vigueur du règlement (prévue pour le 1er juillet 2015), la Commission présentera un rapport au Parlement européen et au Conseil sur son fonctionnement et ses effets.

Une majorité hostile

Guillaume Brajeux n’a pas manqué de dresser la longue liste des opposants à ce projet de règlement: l’association européenne des pilotes; l’association européenne des ports maritimes, les lamaneurs européens; l’association des ports britanniques; les États membres comme les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni et l’Italie; le Conseil économique et social européen. Même la France a émis des réserves lors du Conseil des ministres européens en juin dernier.

Par contre, l’Association européenne des sociétés de dragage veut être concernée par le règlement. Les armateurs européens y sont favorables, mais regrettent que la manutention et les services aux passagers, ainsi que le droit du travail en soient exclus. Les remorqueurs européens sont sur la même ligne. Si la marchandise semble muette, au moins au niveau européen, les chargeurs français « ne peuvent pas être opposés à l’idée de mettre un peu de transparence, d’équité d’objectivité et de non-discrimination dans le fonctionnement des ports français », explique Philippe Bonnevie, délégué général de l’AUTF. Le traitement réservé à la SNRH et le principe de close shop de certains systèmes informatiques portuaires, sont autant d’exemples qui devraient nous faire adhérer au projet, ajoute-t-il.

Le calendrier du processus législatif est le suivant: début des discussions au Parlement européen le 30 septembre. Fin novembre, présentation du projet amendé. Début décembre, date limite pour remise des amendements. Février 2014, vote en commission. Mi-mars, vote en session plénière.

Par ailleurs, en mai 2014, la Commission européenne sera renouvelée. La Grèce dont les autorités portuaires sont plutôt favorables au projet, présidera l’UE au cours du 1er semestre, avant l’Italie, opposée au projet.

Pour rendre l’avenir encore plus incertain, Me Brajeux a rappelé qu’il faudra une majorité qualifiée au Conseil européen pour faire adopter la proposition. En outre, si un tiers des parlements nationaux adopte un avis motivé opposé, la Commission européenne devra réexaminer son texte. À titre personnel, Guillaume Brajeux estime « probable » que ce dernier connaîtra le même sort que les deux précédents paquets.

Qui osera s’opposer à la transparence financière?

Nombreuses sont les générations de hauts fonctionnaires français, membres ou non de cabinets ministériels, à avoir regretté, sous le couvert de l’anonymat, que la comptabilité publique portuaire soit à ce point transparente que n’importe qui (ou presque) puisse s’y retrouver et déterminer la présence d’aides publiques. « Allez donc savoir ce qui se passe à Anvers, à Rotterdam ou dans les ports des Länder allemands », s’exclamait, il y a plus de vingt ans, un directeur de cabinet d’un ministre des Transports, magistrat à la Cour des Comptes. « Nous sommes trop transparents! » regrettait-il.

Faisons un rêve. Dans les négociations, l’actuelle Commission qui n’a plus rien à perdre, tente d’arriver à un consensus gagnant-gagnant avec le Parlement: elle abandonne l’idée d’ouvrir le marché des services portuaires qui ne représentent plus que 40 % à 55 % du coût du passage portuaire, mais elle obtient gain de cause sur la transparence portuaire en matière de financement. Après les divers scandales liés aux paradis fiscaux et autres optimisations fiscales facilitées aux Pays-Bas, par exemple, quel parlementaire européen, quel État osera dire ou écrire qu’il est opposé à la transparence comptable des ports? Après quelques années de mise en œuvre, une autre Commission pourra ainsi savoir précisément qui finance quoi dans les ports, depuis la digue jusqu’à la mise à disposition des terrains, en passant par les services technico-nautiques dès lors qu’ils sont fournis par une autorité portuaire. Il sera alors facile d’établir certains critères objectifs d’efficacité portuaire et donc de comparer.

Interrogé sur cette hypothèse, Robert Rézenthel, spécialiste du droit portuaire, souligne que le projet de règlement ne traite pas de la fiscalité. Or celle-ci constitue un facteur discriminant entre les États et leurs ports. Ainsi en est-il pour le paiement de la TVA à l’import qui handicape les ports du nord de la France au profit d’Anvers. Le manque d’harmonisation des droits sociaux ne facilite pas non plus l’émergence d’une concurrence équilibrée entre les places portuaires.

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