Projet de canal au Nicaragua: financé et exploité par un groupe chinois

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Le président Daniel Ortega a rapidement soumis le projet de concession à l’Assemblée nationale du Nicaragua (dominée par son parti, le Front sandiniste) qui l’a largement approuvé, malgré les critiques de divers députés et citoyens exprimant la crainte que le Nicaragua ne se « vende » ainsi à la Chine. Sur ce dernier point, des chefs de l’opposition dont l’ancien candidat malheureux à la présidence, Fabio Gadea, ont déclaré que ce projet « viole la souveraineté nationale » et ont demandé qu’un référendum national soit organisé pour statuer sur ce projet. Référendum que le Panama a mis en œuvre en 2006 pour faire approuver le projet d’expansion du canal.

Diverses publications économiques ou généralistes américaines, britanniques et centra­méricaines ont enquêté sur Wang Jing et sa fortune. Elles ont trouvé que la plupart de ses financements viennent de banques publiques très liées au gouvernement de Beijing. Après avoir fait fortune dans diverses activités de négoce, minières et autres, Wang Jing est à la tête de diverses sociétés, dont en particulier Beijing Xinwei Telecom Technology Co. Spécialisée dans les télécommunications, cette entreprise a signé il y a un an un contrat de 300 M$ avec le gouvernement du Nicaragua pour construire un réseau de télécom. Wang Jing contrôlerait 37 % du capital de cette société, valorisée à environ 1,1 Md$. Son siège social serait régulièrement visité par de très hauts officiels chinois, dont le président Xi Jinping et le premier ministre Li Keqiang.

La suspicion est donc forte que ce projet soit en fait orchestré par le gouvernement chinois. Mais un porte-parole de HKND, Ronald MacLean-Abaroa, a déclaré en juin à un journal nicaraguayen que HKND (enregistrée aux Îles Caïman et basée à Hong Kong) est une société privée et le resterait car s’il y avait des investissements publics (en particulier chinois), les investisseurs privés refuseraient de s’y joindre. Sur ce point, certains financiers, dont un collaborateur de la Deutsche Bank, ont déclaré que, en l’état, ce projet ne remplit pas les conditions structurelles nécessaires pour bénéficier de financements bancaires privés sur des montants de cette ampleur.

Projet de 40 Md$ dont 900 M$ de pré-études

Wang Jing viserait un chiffre d’affaires (CA) annuel total de 5,5 Md$ à terme alors qu’actuellement, en comparaison, le CA du canal de Panama est de 2,5 Md$. Mais son estimation pourrait inclure les CA des ports situés aux deux extrémités et des activités logistiques et industrielles induites par un tel canal.

Le tracé du projet de canal a été révélé à la presse en juillet, avec une longueur d’environ 270 km entre les ports de Brito et Bluefields (voir cartes, parcours en rouge), à comparer aux 77 km du canal de Panama. À cette occasion, Wang Jing a indiqué que la construction commencerait fin 2014 et serait terminée en 2019, ce qui semble très ambitieux voire irréaliste. Certains experts estiment qu’il faudrait au moins onze ans de travaux, mais HKND semble disposer de spécialistes expérimentés dans de grands projets, dont des Australiens.

L’entreprise chinoise a déjà engagé divers cabinets d’études, dont le grand cabinet conseil américain McKinsey qui travaillerait sur la méthodologie souhaitable pour lancer et commercialiser le projet, en s’inspirant largement de l’exemple réussi (préparation, conception, financement, appels d’offres, etc.) du canal de Panama. Selon HKND, « environ 4 000 personnes travaillent en ce moment sur l’étude de faisabilité, y compris le personnel de McKinsey, du consultant britannique en environnement ERC, du cabinet juridique américain Kirkland et de divers instituts d’études contrôlés par China Railway Construction ».

Jorge Quijano, l’administrateur de l’autorité du canal de Panama (ACP), a déclaré lors d’une audition à l’Assemblée nationale du Panama qu’il suit ce projet nicaraguayen avec intérêt mais ne peut se prononcer à ce stade car ce projet reste pour le moment « totalement théorique et hypothétique ». Il a aussi confirmé à cette occasion que l’ACP étudie la possibilité de construire un 4e jeu d’écluses pour traiter les navires super post Panamax affirmant que l’ACP travaillerait toujours pour faire en sorte que le canal de Panama reste concurrentiel.

Parmi les principaux terminaux à conteneurs situés aux deux extrémités du canal de Panama figurent ceux contrôlés par Panama Ports, une filiale du groupe chinois Hutchin­son Ports du milliardaire de Hong Kong Li Ka Shin (qu’on dit aussi en très bonnes relations avec le gouvernement de Beijing), auxquels s’ajoutent les terminaux d’Evergreen et de SSA (États-Unis), seulement présents du côté atlantique.

Selon l’agence Associated Press, en visite au Nicaragua, le sous-secrétaire d’État au commerce Walter Bastian a déclaré que « les États-Unis et les investisseurs américains seraient favorables à investir dans la construction du canal du Nicaragua tout et autant que la gestion de ce projet soit transparente ». Il a trouvé ce projet « fascinant » et expliqué que le « gouvernement américain le suivra afin de vérifier s’il suscite l’intérêt des investisseurs américains ». C’est le mot « transparente », entendu dans le sens large, à la fois politique et économique, qui est le plus important dans cette déclaration.

Expansion chinoise sur terres américaines

Vu des États-Unis, ce projet s’inscrit dans un contexte politique précis, allant de la « Monroe Doctrine » qui conduit l’Amérique à contrer toute prise de position hostile de pays étranger dans les continents américains, en passant par la longue guerre civile qui a sévi au Nicaragua, avec les États-Unis soutenant les partis de droite opposés au parti « révolutionnaire » sandiniste de Daniel Ortega (qui s’est depuis beaucoup assagi en évoluant vers le centre et en se ralliant à un système démocratique), aux relations avec la Chine. Ces dernières sont relativement tendues tant sur le plan commercial que diplomatique, en particulier en relation avec les ambitions d’hégémonie chinoise sur les îles et îlots et leurs zones économiques des « mers de l’Est » ou « mers de Chine », en opposition avec le Japon, le Vietnam et les Philippines, et à moindre degré l’Indonésie et la Malaisie, et la présence des forces armées américaines en Asie et Australie.

Vu de Chine, ce projet illustre l’expansion continue de la Chine en Amérique du Sud, d’abord initialement pour y acquérir des matières premières, puis pour y développer des marchés. Ceci a été illustré récemment par les visites du président chinois Xi Jinping au Costa Rica, à Trinidad et au Mexique, avant sa réunion avec le président Obama en Californie. Le développement des productions manufacturières au Mexique et en Amérique centrale à destination des États-Unis et du Canada pourrait aussi être une raison pour laquelle la Chine voudrait développer ses implantations centraméricaines, afin d’avoir un accès compétitif aux marchés américains.

Parallèlement, il existe des projets de pont terrestre ferroviaire, appelés « dry canals », en Honduras et en Colombie, avec présence d’intérêts chinois, alors que le projet mexicain de l’isthme de Tehuantepec est suspendu depuis des décennies.

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