JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): QUEL (S) ÉTAI (ENT) LE OU LES OBJECTIF (S) DE L’EXERCICE?
LOÏC LAISNÉ (L.L.): Ils étaient doubles: vérifier la « remorquabilité » d’un navire dont la surface vélique est d’environ 12 144 m2, et la facilité de mise en œuvre ainsi que l’efficacité réelle d’un Smit-Bracket. Sur le premier point, nous avons été agréablement surpris: par beau temps, mer calme, par l’avant et avec une barre à zéro, le remorquage s’est bien passé. Le CMA-CGM-Marco- Polo s’est bien venu bout au vent et a pu être remorqué à six nœuds en n’ayant besoin que d’une centaine de tonnes de traction. L’Abeille-Bourbon pouvant aller jusqu’à 200 t. En cas de problème majeur avec ce type de navire, perte de propulsion ou barre bloquée, notre objectif est de le stabiliser assez loin des côtes afin de pouvoir attendre l’arrivée de moyens supplémentaires. Cela dit, nous ne nous faisons aucune illusion: avec une mer formée et par vent fort, nous n’avons aucune certitude. Si en plus un incendie prive le navire d’énergie, la barre sera bloquée dans une position par nature imprévisible. Le souvenir du MSC-Napoli dont la barre a été bloquée est encore bien présent dans notre esprit.
JMM: COMPTE TENU DE L’IMPOSSIBILITÉ DE PRÉVOIR LES CONDITIONS MÉTÉO, PENSEZ-VOUS UTILE DE RÉALISER DES TESTS DE REMORQUAGE DE MAQUETTES NAGIVANTES EN JOUANT SUR LA FORCE ET LA DIRECTION DU VENT ET DE LA HOULE AINSI QUE SUR LA POSITION DE LA BARRE?
L.L.: Tous les tests de simulation qui nous permettraient d’en savoir plus sur le comportement du navire seraient les bienvenus. Mais nous n’avons pas fait de démarche en ce sens.
JMM: FINALEMENT, LE SMIT-BRACKET EST-IL EFFICACE?
L.L.: Ce dispositif est facile et rapide à mettre en œuvre. Il aide donc considérablement les sauveteurs à passer la remorque. Le préfet maritime a donc écrit à la direction des Affaires maritimes pour attirer son intention sur ce point. L’idée étant de rendre obligatoire ce dispositif pour tous les grands porte-conteneurs, comme cela l’est pour les citerniers de 20 000 tpl et plus. Nous en avons discuté avec nos collègues britanniques qui partagent notre point de vue. Et nous allons en parler au sein du forum des garde-côtes Atlantique Nord.
JMM: ET POUR LESGRANDS PAQUEBOTS, VOIRE LES FERRIES DONT CERTAINSROMPENT LEURS AMARRES LES JOURS DE GRAND VENT?
L.L.: Leur surface vélique pose les mêmes problèmes. Cependant, les ferries ont une spécificité particulière: un bon nombre disposant d’une porte avant, il semble donc a priori difficile de les équiper d’un Smit-Bracket qui doit être très solidaire de la structure. Mais ce point est à faire vérifier par les ingénieurs.
JMM: SANS DOUTE, CAR SINON ON POURRAIT S’INTERROGER SUR L’UTILITÉ DES BITTES D’AMARRAGE DES FERRIES. LA RUMEUR A LAISSÉ ENTENDRE QU’IL A ÉTÉ DIFFICILE DE DÉPOSER L’ÉQUIPAGE D’ÉVALUATION?
L.L.: Dans un exercice, nous souhaitons limiter les risques, l’équipe a donc été déposée sur la zone prévue à cet effet, c’està-dire les ailerons découverts de la passerelle. Certes, ils sont longs et étroits mais c’est ainsi. Par contre, nous avons demandé au pilote de l’hélicoptère de vérifier s’il était possible d’effectuer une dépose sur la plage avant. Celle-ci est « encombrée » par de multiples apparaux et un mâtereau haubané. Dans la réalité, il peut être important d’amener rapidement sur l’avant du navire du matériel lourd que les membres de l’équipe d’évaluation auraient de la peine à porter. D’où l’intérêt de pouvoir y accéder assez facilement. Le pilote de l’hélicoptère a estimé faisable une dépose directe, pas facile mais faisable.
JMM: AVEZ-VOUS DES PROBLÈMES DE COMMUNICATION PARTICULIERS?
L.L.: Non, car nous sommes restés entre gens du même mode: le personnel de la préfecture maritime, du Cross, les membres de l’équipe d’évaluation et de l’équipage de l’Abeille-Bourbon sont habitués à travailler ensemble dans la réalité comme durant des exercices. Finalement, les au mieux moins entraînés à cela sont les membres de l’équipage du navire assisté: par nature, ils s’entraînent peu à manipuler les dispositifs de prise rapide de remorque. L’exercice a attiré leur attention sur certains détails opérationnels comme la lourdeur de certaines pièces à manipuler.
JMM: L’ÉQUIPE D’ÉVALUATION DISPOSAIT- ELLE DE MOYENS DE COMMUNICATION ANTIDÉFLAGRANTS?
L.L.: Oui, téléphones portables et VHF antidéflagrants.
JMM: AVEZ-VOUS APPROCHÉ MÆRSK, MSC OU D’AUTRES POUR SAVOIR S’ILS ONT BIEN ANTICIPÉ CERTAINS RISQUES ET DONC ÉGALEMENT ÉQUIPÉ VOLONTAIREMENT LEURS GRANDS PORTE-CONTENEURS DE SMIT-BRACKET?
L.L.: Non, car en temps normal, de non-crise, il n’est pas d’usage qu’une autorité régionale s’adresse directement à un armateur étranger.
JMM: MÊME POUR POSER UNE SIMPLE QUESTION INTÉRESSANT LA SÉCURITÉ DU NAVIRE ET DONT LA RÉPONSE INTÉRESSE TOUS LES ÉTATS CÔTIERS?
L.L.: Même.
Merci au Braer
À la suite de la dislocation du pétrolier Braer chargé de 86 800 t de brut sur une des îles Shetland en janvier 1993, le gouvernement britannique demande un audit de son organisation. En 1994, Lord Donaldson remet ses 102 recommandations. L’une d’elles concerne le dispositif de prise rapide de remorque afin de faciliter l’éloignement des côtes d’un navire ayant perdu toute forme d’énergie. « Malheureusement », seuls les pétroliers de 20 000 tpl et plus sont concernés. À notre connaissance, seul le groupe CMA CGM équipe ses porte-conteneurs de 8 000 EVP d’un tel dispositif. Les trois unités de 16 000 EVP (vides) en ont même deux: un à l’avant et l’autre à l’arrière, d’une charge utile de 200t. Interrogé deux fois sur la présence ou non d’un tel dispositif à bord des Triple-E de 18 000 EVP (vides), Mærsk Line n’a pas encore répondu au JMM. MSC Genève a également été questionné par courriel à ce sujet.
Smit Bracket à l’OMI: horizon 2016-2017, au mieux
Pour présenter avec quelques chances de succès un dossier à l’OMI, il faut commencer par montrer l’efficacité du dispositif, explique une source spécialisée. Il faut donc monter un dossier technique qui est en cours de constitution. Cela dit, comment ce qui est utile pour un pétrolier, même petit, pourrait ne pas l’être pour un grand porte-conteneurs dont la capacité des soutes à combustibles peut se comparer à celle d’un petit pétrolier?
Il faut ensuite se trouver des « alliés » sincères ou reconnaissants. Certains États membres de l’UE seraient partants. Les États reconnaissants sont ceux dont une proposition a été soutenue par le passé par la France alors qu’elle n’y avait pas un intérêt majeur.
L’OMI étant en pleine refonte de ses sous-comités pour des raisons budgétaires, il faut attendre encore un peu pour savoir qui fait quoi. Puis mettre sur la table un « document d’intérêt » en espérant qu’il soit bien intégré dans l’ordre du jour des sujets à examiner. Donc, selon la mécanique (qui s’est accélérée) de l’OMI, si tout va bien, l’extension aux porte-conteneurs pourrait être adoptée en 2016 ou 2017. Cela pourrait aller plus vite pour les navires à passagers. En effet, depuis l’adoption du traité de Lisbonne, l’Union européenne dispose d’une compétence partagée avec les États membres en ce qui concerne la protection des consommateurs et les transports, et en particulier « les mesures qui permettent la sécurité des transports ». Or, selon l’article 2 § 2 du traité en matière de compétence partagée, « les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne ». Dans les faits, la Commission s’est déjà « emparée » du dossier des navires à passagers et bénéficie ainsi d’une quasi-compétence exclusive. Après le spectaculaire échouement du Costa-Concordia, elle ne peut pas rester passive. La seule critique de la qualité du rapport du BEAmer italien sur les circonstances de l’accident du paquebot italien, formulée par l’Agence européenne de sécurité maritime, ne constitue pas un renforcement de la sécurité des paquebots.
Porte-conteneurs ou voilier rapide
« Avec un vent de force 10, moteurs complètement stoppés, le CMACGM- Jules-Verne file 9 nœuds, poussé par sa seule voilure, c’est-à- dire sa prise au vent. Pour le commandant, cela nécessite un état de concentration permanente. On ne peut pas se permettre de rater quelque chose », explique Gilles Saint-Jalme, un des commandants du Jules-Verne dans une interview publiée le 3 juin dans
« Avec un navire de cette taille, c’est avant l’arrivée au port que certaines manœuvres créent une appréhension s’il y a beaucoup de vent », poursuit le commandant Saint-Jalme dans Le Marin du 7 juin.
« On se dit, si je vais mouiller, je risque de tout casser. Dès force 5, je reste à faire des ronds en attendant de pouvoir accoster. »
En décembre 2012, lors de la présentation à la presse locale du CMA CGM-Marco-Polo, jumeau du Jules-Verne, Ludovic Gérard, vice-président de CMA Ships a expliqué que le port de Southampton, entre autres, refusait la mise à quai du navire au-delà de 25 nœuds de vent. Il espérait qu’avec le temps et l’expérience, les capitaineries de ces ports accepteraient une limite plus haute.
« Le fardage [du Jules-Verne] est équivalent à celui d’un paquebot, mais eux ont beaucoup de puissance et des machines très réactives avec deux lignes d’arbre, deux safrans et les pods » souligne François Alessandri, chef du pilotage de Marseille dans Le Marin du 7 juin.