« Dans le Pacifique, la France ne défend pas que ses propres intérêts »

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): POURRIEZ-VOUS DÉCRIRE LE DISPOSITIF MILITAIRE FRANÇAIS DANS LE PACIFIQUE?

ANNE CULLERRE (A.C.): La France dispose en Asie-Pacifique de deux commandements inter-armées, comprenant chacun une frégate, des patrouilleurs, des avions de transport et de patrouille maritime et des forces de l’armée de terre. L’un est basé en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, l’autre en Polynésie française, à Papeete, que je dirige. Chacun assure des missions traditionnelles de souveraineté – la protection de la zone économique exclusive française rattachée à ces territoires en fait partie –, entretient les relations internationales de défense avec les pays voisins et contribue à la sécurité de la navigation maritime dans la région.

JMM: QUELS SONT LES RISQUES MAJEURS À LA SÉCURITÉ DE LA NAVIGATION MARITIME QUE VOS FORCES SONT AMENÉES À PRÉVENIR OU À COMBATTRE, ET AVEC QUELS MOYENS D’ACTION?

A.C.: La piraterie est désormais bien maîtrisée depuis quelques années dans le détroit de Malacca, en grande partie grâce aux patrouilles conjointes mises en place par Singapour, la Malaisie et l’Indonésie. L’Information Fusion Centre (IFC), créé il y a quatre ans par la marine singapourienne, que la France a soutenu et auquel la marine française participe depuis le début de façon très active, est devenu également un élément clé de la sécurité maritime dans toute la zone Asie du Sud-Est. Il reste encore des problèmes de brigandage maritime, de vols à bord des navires, qui doivent être éradiqués. Des crises localisées surgissent aussi de temps à autre, comme à Sabah en Malaisie ou dans les Sulu, aux Philippines, qui, si elles dégénèrent, peuvent représenter un danger potentiel pour la navigation. En mer de Chine enfin, où il existe des conflits territoriaux entre la Chine et un certain nombre de pays riverains, nous observons attentivement le comportement des navires d’État chinois vis-à-vis des navires étrangers. La France n’est pas partie prenante dans les différents conflits territoriaux, mais nous attachons la plus grande importance à la liberté de navigation dans le respect de la convention de Montego Bay. Elle n’a, à ce jour, pas été mise en cause.

L’information reste notre principal outil. Notre présence au sein de l’IFC, déjà évoquée, nous permet d’échanger de façon extrêmement fructueuse avec nos collègues des autres marines ainsi qu’avec l’ensemble du monde maritime, que nous pouvons ainsi alerter sur les dangers à naviguer dans telle ou telle zone. En cas d’incident majeur, nous pourrions aussi mettre en œuvre des moyens militaires, comme le déploiement d’une frégate ou d’une équipe de protection embarquée. Le cas ne s’est heureusement pas encore présenté dans cette zone.

JMM: EXISTE-T-IL AUSSI DES MENACES AUX RESSOURCES NATURELLES?

A.C.: Dans la zone économique exclusive de la Polynésie française, extrêmement vaste (5 Mkm2), la pêche illégale pourrait faire son apparition. Pour le moment, la ceinture thonière, gérée et protégée par la Western and Central Pacific Fisheries Commission (WCPFC), se situe au nord de notre ZEE. La présence de pêcheurs taïwanais, chinois et coréens aux abords de la ZEE est importante. Le réchauffement climatique pourrait faire descendre cette ceinture thonière dans la ZEE. Nous pourrions alors avoir à lutter contre des flottilles qui s’aventureraient à y pêcher indûment. C’est ce que nous faisons déjà dans l’Antarctique, où notre commandement inter-armées de l’océan Indien, basé à La Réunion, en charge de la protection de nos terres australes et antarctiques coopère avec l’Australie pour protéger la légine, ce poisson très prisé. La protection des terres rares qui tapissent nos fonds marins deviendra également un jour ou l’autre un enjeu. Elles ne sont pas encore exploitées, mais lorsqu’elles pourront l’être, elles seront forcément convoitées. Dans le Pacifique, la France ne défend pas que ses propres intérêts. Elle œuvre également à promouvoir ceux des plus faibles, qui ne disposent pas de moyens suffisants pour le faire, comme certains pays insulaires du Pacifique, le Vanuatu, Samoa, Tonga, Kiribati, etc. La France mène, alliée aux États-Unis, à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande et en partenariat avec les autorités de ces pays, des missions dans leurs eaux pour lutter contre la pêche illégale. Même chose en matière de protection contre les catastrophes naturelles. La France, la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont mis au point un dispositif, « Franz », pour conduire des missions de secours au service de qui en a besoin. Croix du Sud, exercice français de secours humanitaire qui a lieu tous les deux ans, opère dans le même esprit. Sa prochaine édition, en 2014, réunira un nombre inédit de pays, puisqu’aux traditionnels participants (France, Nouvelle-Zélande, Australie, Grande-Bretagne, Canada, pays insulaires) devraient se joindre le Chili, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, Brunei et le Japon. Il s’agit avant tout, par ces opérations, de maintenir l’État de droit et la solidarité dans tout le Pacifique, au profit de tous et de chacun.

JMM: D’AUTRES DANGERS POINTENT-ILS?

L’immigration clandestine entre l’Indonésie et l’Australie, de personnes pouvoir venir de très loin (Afghanistan, Irak…), prend des proportions inquiétantes. Le trafic de drogue devient également un souci: un yacht bourré de cocaïne, provenant d’Amérique latine et à destination de l’Australie, a été intercepté l’an passé en Nouvelle-Calédonie, où il transitait. Sous le ciel bleu du Pacifique, il n’est hélas guère de temps pour nous de faire relâche!

L’IFC, une fenêtre de visibilité sur l’Asie maritime

L’Information Fusion Centre (IFC) est une structure créée par la marine singapourienne en 2009. La France a été le premier pays étranger à y déléguer un officier qui travaille en son sein de façon permanente, le capitaine Jean-Michel Kergoat. Aujourd’hui, les marines de 17 pays y adhèrent, permettant une couverture géographique exceptionnelle, allant des eaux des pays de l’Asean, du Pacifique et de l’océan Indien jusqu’à Aden. Le principe de fonctionnement de l’IFC est simple: il consiste pour chaque pays participant à échanger des informations (non classifiées et de sources ouvertes) sur les questions de sécurité maritime au sens large: piraterie, contrebande et trafics illégaux, trafics humains, terrorisme, pollution, événements météo, pêche illégale, etc. Ces informations croisées sont répercutées, sous forme de risk assessment, aux navires qui s’enregistrent – gratuitement – auprès de l’IFC pour en bénéficier. Pour le capitaine Kergoat, le système, à vocation préventive, s’auto-enrichit continuellement: « Je suis en contact permanent avec les CSO des compagnies maritimes, qui à leur tour peuvent m’informer d’éventuels incidents. L’enregistrement à l’IFC devient même un argument marketing pour certaines! De même, l’IFC collabore avec les autres organisations travaillant sur le sujet, tels Recaap (Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery against Ships in Asia). Plus les informations circulent, plus nous devenons efficaces. En bref, nous sommes une formidable fenêtre de visibilité sur l’Asie maritime. »

Les 17 marines membres de l’IFC

Australie, Brunei, Cambodge, Canada, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Malaisie, Myanmar, Nouvelle-Zélande, Pérou, Philippines, Royaume-Uni, Singapour, ThaïlandeViet-Nam.

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