Le BEAmer italien termine son rapport en remerciant son homologue américain avec lequel une coopération étroite a été établie. La relecture du rapport ne faisait sans doute pas partie de cette coopération, pas plus que le respect du code de l’OMI pour la conduite des enquêtes techniques sur les accidents. La recherche de l’importance des facteurs naturels, matériels, humains, déterminants ou aggravants n’est pas de mise dans ce projet de rapport.
Une seule chose est affirmée à plusieurs reprises: l’unique raison de ce dramatique accident est l’élément humain. Le paquebot a « complètement » respecté les obligations de la convention Solas, applicables lors de sa construction. Les « piètres compétences professionnelles des principaux responsables de l’équipage sont la seule raison expliquant les morts et les blessés ». Qui les a choisis?
À plusieurs reprises, le rapport utilise des témoignages recueillis dans le cadre de la procédure judiciaire. Dès le début, le BEAmer italien a expliqué que, selon l’organisation nationale, il était totalement dépendant de l’action du juge d’instruction.
Quid d’une évacuation en mer?
Le projet de rapport couvre bien le sujet, depuis les prémisses de l’accident jusqu’à l’évacuation du navire, mais sans se confronter au vrai problème: quid de l’évacuation de plus de 4 000 personnes en mer, soit aussitôt après l’avarie majeure survenue au moment qui, selon le BEAmer, aurait dû être décidé pour éviter les 32 victimes? Après avoir heurté à 16 nœuds un rocher sur bâbord, sous l’action du vent et du courant, le navire a viré sur tribord pour venir s’échouer sur ce bord.
Le projet de rapport annonce d’entrée de jeu qu’il fera in fine des propositions pour prévenir un envahissement après choc empêchant de facto le « safe return to port » préconisé par la convention Solas. Retour au port qui a déjà fait défaut lors de plusieurs avaries majeures de propulsion survenues au large sur d’autres navires à passagers, dans le Pacifique et dans l’océan Indien.
La synthèse résume, comme il se doit, les principaux événements: les erreurs humaines de navigation, patentes, il est vrai, l’évacuation différée et mal gérée, puis, plus techniques, les conséquences rapides d’une avarie de coque défiant toutes les statistiques (et même maintenant les probabilités): quatre à cinq compartiments envahis en quelques dizaines de minutes entraînant l’arrêt immédiat de la propulsion et de toute production d’énergie, le dysfonctionnement du générateur de secours, l’absence de détection de cet envahissement et de capacité de calcul de ses conséquences. Cela peut expliquer le retard de la décision d’évacuer, une évaluation « manuelle » étant nécessairement laborieuse.
Plusieurs chapitres techniques prouvent que le navire a fait naufrage mais s’intéressent peu au risque, probable, de chavirement. À ce propos, le rapport estime que l’on n’a jamais connu d’accident comme celui du Costa-Concordia. C’est oublier un peu vite le Titanic, lui aussi ouvert sur une grande longueur. Le comportement de l’équipe de quart est détaillé. La passivité des officiers présents en passerelle est soulignée. Le choix contestable de la route choisie, semble-t-il au dernier moment, la vitesse de déplacement, la présence de personnel extérieur au service, la mauvaise échelle de la carte utilisée, tout est décortiqué.
Le rapport s’attarde sur l’importance de la brèche (53 m), l’envahissement évalué à 1 000 m3/h, le black-out intervenu moins d’une minute après le choc. Peu après, le générateur de secours s’arrête sans que l’on comprenne bien pourquoi. En effet, s’il a démarré au bout de sept secondes, c’est qu’il avait bien reçu le message de défaut du tableau électrique principal. Le rapport aborde la perte de stabilité du fait des carènes liquides. Après l’immersion du pont de cloisonnement, l’eau s’est déversée dans les compartiments autres que les cinq déjà envahis, comme pour le Titanic.
Enfin arrive la gestion de l’évacuation déjà évoquée et dont les carences sont imputées, non seulement au capitaine, mais à l’équipage à travers sa formation « internationale », et aussi, bien sûr, aux problèmes de langues entre les 138 nationalités le composant, comme celles des passagers, et tout cela en situation de crise majeure où pratiquement tous ne savent plus s’exprimer que dans leur langue maternelle.
Les recommandations
Après avoir attiré l’attention sur les problèmes liés au gigantisme des paquebots, le BEAmer formule deux types de recommandations. Celles déjà engagées par l’armateur comme:
– l’enregistrement des nationalités des passagers pour faciliter les communications lors de l’évacuation;
– le dépôt d’un plan de navigation pour que le centre de la flotte de l’armateur puisse surveiller les éventuels écarts;
– le renforcement des informations à fournir aux passagers qui devront participer, avant le départ du navire, à un exercice de rassemblement;
– l’audit de la qualité de travail des agences de manning;
– le renforcement de la formation des équipages, tant au niveau officier qu’au niveau du personnel d’exécution.
Plus importantes et bien plus difficiles à mettre en œuvre seront les recommandations portant sur:
– la stabilité après avarie: le BEAmer propose qu’une double coque protège les équipements vitaux (moteur, générateurs électriques, appareil à gouverner). Il s’agit là d’une vaste problématique car la double coque génère elle-même des problèmes.
– l’installation d’un système de détection d’envahissement, de suivi et de calcul des conséquences sur la stabilité du navire après avarie. Il s’agit là d’une des recommandations les plus pertinentes;
– le durcissement de la ségrégation des éléments essentiels de survie en tenant compte de la discontinuité de compartiments « machine ». Difficilement concevable pour de multiples raisons liées tant à l’exploitation qu’à la stabilité;
– l’installation du tableau électrique principal au-dessus du pont de cloisonnement.
Le BEAmer recommande également que le générateur de secours soit d’une plus grande puissance et doublé par un second installé dans un autre espace vertical. Cela suppose que soit résolu le problème de la « dépendance » de ces générateurs à la production principale. Le BEAmer demande que chaque semaine, ces générateurs soient mis en route durant au moins deux heures.
Les aspects opérationnels concernant la gestion des ressources humaines doivent être renforcés. Et le VDR, équipé d’un inclinomètre.
La problématique de l’évacuation est rapidement traitée: le BEAmer recommande que soient analysées, dès la conception du paquebot, les méthodes susceptibles d’être mises en œuvre. Cette obligation ne pèse aujourd’hui que sur les rouliers à passagers.
Au sujet des échelles d’embarquement dans les canots de sauvetage, il a été constaté que, lorsque la gîte dépasse 20o, les échelles traditionnelles sont plus performantes, il y a donc lieu de réexaminer le nombre minimal d’échelles (une) qui doivent se trouver sur chaque bord.
Il n’y a en revanche rien de prospectif concernant l’étanchéité et la flottabilité qui, faute de rendre le navire insubmersible, permettent de réduire ses possibilités de chavirement, par essence catastrophique, et de retarder son immersion.
Au sujet des moyens extérieurs d’assistance au navire, le BEAmer recommande que les vedettes soient équipées de six défenses de chaque côté afin de pouvoir se mettre à couple sans risque d’autres flotteurs. Leur capacité doit être d’au moins 100 personnes. Les plongeurs devront avoir été formés à la spéléologie sous-marine afin de pouvoir intervenir dans les zones les plus sombres.
Des questions sans réponse
Les autres BEAmer concernés ont 30 jours pour faire part de leurs éventuelles remarques ou questions. Un au moins a déjà commencé et s’interroge sur la délicate question des nombreuses portes étanches. Il remarque que certaines étaient situées dans la zone B/5 interdite par Solas. Le navire n’était donc pas « complètement » conforme à la convention. Il regrette de n’avoir aucune certitude, malgré ses demandes récurrentes, sur la position réelle et vérifiée des portes étanches.
Il est possible, voire probable, que de nombreuses portes étanches ont dû être considérées comme pouvant demeurer ouvertes à la mer pour des raisons d’exploitation. Le VDR fait cependant état d’un maximum de portes fermées. La fermeture décidée après le « choc » n’aurait sans doute pas pu être réalisée faute d’énergie du fait de la défaillance rapide du générateur de secours.
Ces observations conduisent à penser que certaines précisions ne pourront être apportées qu’après relevage de l’épave. Si tant est que la pression ne soit pas retombée sur les autorités italiennes.
Croisière: internationale par nature
Avec ou malgré une ouverture de coque de 53 m de long, cet accident majeur n’a fait « que » 30 morts et deux disparus ainsi que 157 blessés. Au total, le paquebot avait à son bord 2 954 passagers adultes, 200 enfants de moins de 12 ans, 52 bébés de moins de 3 ans (dont 19 avaient « besoin d’assistance ») et 1 023 membres d’équipage originaires de 38 pays. Principalement 294 Philippins, 202 Indiens, 169 Indonésiens et 149 Italiens. La langue de travail était l’italien. Sur les 3 206 passagers, 989 étaient italiens, 568 allemands, 462 français, 177 espagnols, 129 américains, 127 croates, et 108 russes. Environ 2 930 personnes ont évacué en utilisant les moyens du bord. De l’ordre de 1 270 autres ont utilisé les moyens maritimes ou aériens venus de la terre.