Les moyens dont nous disposons sont-ils véritablement adaptés à ce phénomène d’accroissement de la taille des navires? s’est demandée en substance la préfecture maritime de Brest. Seul un essai grandeur nature pouvait répondre à la question. Sollicitée par la Prémar de Brest, la CMA CGM a répondu très vite et de manière positive. La compagnie a ainsi accepté de mettre à la disposition des services de l’État son dernier fleuron, le Marco-Polo, actuel plus gros porte-conteneurs au monde. Ayant achevé sa tournée européenne au Havre, le navire a mis le cap sur l’Asie et, le 9 mars, a simulé une panne de propulsion à 20 milles dans le noroît de l’île de Batz. Aux différents services de la Marine et à l’action de l’État en mer de se débrouiller pour intervenir pendant les 4 heures de l’arrêt commercial du navire consenti par CMA CGM. Difficile dans cette configuration de programmer les conditions météorologiques. C’est ainsi que, chargé à 80 % de sa capacité maximale (soit 14 000 EVP), déplaçant 250 000 tonnes et offrant 12 144 m2 de fardage, le Marco-Polo a évolué par un temps de curé (15 nœuds de vent et houle longue de 2 mètres). « Il a dérivé travers au vent entre 1,5 et 2 nœuds », ont commenté les responsables lors du débriefing.
Remorquage à 6,7 nœuds
Du fait de l’agencement de la plage avant du Marco-Polo (exiguïté, mâtereau haubané, apparaux de pont), l’équipe d’évaluation et d’intervention de la Marine a été hélitreuillée sur les ailerons de passerelle du navire. Dirigé par le commandant Thierry Choquet, l’équipage du remorqueur Abeille Bourbon a lancé une procédure de prise de remorquage rapide en focalisant sur les manœuvres visant à ramener la masse de 396 m de long du porte-conteneurs dans le lit du vent. C’était le véritable but de la manip’. « C’est beaucoup plus facile de s’approcher de l’étrave de grosses bailles de ce type que de celles de petits navires qui n’arrêtent pas de monter et descendre à la lame », commente le commandant du remorqueur.
En un quart d’heure, la remorque a été capelée sur la chaîne de l’Emergency-Towing-Arrangement (de type Smit Bracket), passée dans le chaumard central, et l’Abeille Bourbon n’a eu besoin que d’une pointe à 110 tonnes de traction (pour un bollard pull maxi de 209 t) pour contrecarrer l’inertie du Marco-Polo. « Nous avons ensuite réduit à 80 t, filé 950 m de remorque et tracté le porte-conteneurs à une vitesse 6,8 nœuds », chiffre avec exactitude le commandant de l’Abeille. En clair, dans des conditions certes très maniables, le remorqueur a tout juste utilisé la moitié de sa puissance pour ramener le mastodonte dans le lit du vent. Opération réussie donc pour le Prémar de Brest, l’amiral Jean-Pierre Labonne qui juge que « cet exercice contribue à améliorer les modes opératoires et les capacités de l’action de l’État en mer. »
À première vue, un remorqueur tel que l’Abeille-Bourbon serait donc capable d’empêcher toute dérive d’un porte-conteneurs de ce gabarit le temps qu’un éventuel second remorqueur vienne l’aider pour des manœuvres plus pointues. Mais il ne pourrait le faire que grâce au Smit Bracket dont est doté le Marco-Polo. « Ses bittes d’amarrage n’auraient tenu que jusqu’à 100 t de traction », indique le commandant Choquet. D’où l’idée de faire avancer l’obligation d’emport d’un tel système sur tous les navires. L’arrière-pensée de l’action de l’État en mer et du SG Mer est bien là, même si pour certains navires (les ferries par exemple) les architectes navals doivent revoir leur copie.