La carrière du plus grand yacht français, 60,20 m de long pour 1 027 UMS, a été brève. Mais elle devrait marquer durablement les esprits du monde du yachting et de l’administration. Ne serait-ce que par le préambule du rapport du BEAmer. Il explique qu’après avoir reçu le rapport provisoire, l’armateur (français), le chantier turc (Proteksan Turquoise), l’ABS et l’autorité du pavillon ont estimé que le navire était « techniquement irréprochable et conforme en tous points aux exigences de l’administration française. […] Le Yogi a cependant coulé ». L’attaque terroriste ou le sabotage ayant été écartés, le BEA « croit comprendre que selon ces quatre parties, le seul facteur humain pourrait être à l’origine du naufrage, en l’occurrence une conduite du navire inadaptée aux circonstances par l’équipage […] ». Le BEA « ne partage pas cette analyse ».
Constatations gênantes
Aux termes de plus de 30 pages de considérations techniques, le BEA constate que:
– le Yogi était le « premier grand » yacht immatriculé au RIF.
– les certificats ont été délivrés par une société de classification dont l’agrément par l’administration est « limité » au franc-bord.
– l’administration était « non présente elle-même » lors de l’expérience de stabilité;
– le chantier a « rejeté » la demande du capitaine de procéder à une nouvelle expérience de stabilité, lors de l’arrêt technique de fin 2011, et que les critères de stabilité après avarie « ne prenaient pas en compte la situation la plus défavorable » (envahissement de deux compartiments contigus dans la tranche arrière).
– il existait des contraintes de ballastage pour limiter l’enfoncement du navire et ne pas noyer la marque de franc-bord;
– « d’importantes modifications n’ont pas été signalées et portées » à la liasse de plans « tel que construit » du navire (lest supplémentaire de 27,9 t, circuit de drainage), transmis à l’administration française;
– « d’importants » travaux n’ont pas été enregistrés en application du système ISM compagnie (démontage de la porte arrière);
– l’alarme de présence d’eau dans le compartiment de l’appareil à gouverner a été « tardive »; celle des températures de réfrigération des moteurs, « défaillante »;
– le choix architectural était « risqué » (le bas de la porte de bordé et de la porte arrière immergé), notamment au regard du rayon d’action du navire, (4 000 miles);
– les conditions météo n’appelaient pas à une réduction d’allure.
La majorité de ces constatations constitue des « dysfonctionnements ou des anomalies dont les effets se sont cumulés, même si la cause première de l’envahissement d’eau gagnant rapidement trois compartiments demeure incertaine ».
Recommandations
Le BEAmer recommande:
aux armateurs de yachts de grande plaisance:
– de déployer, dès le début de la construction d’un navire, des procédures de travail inspirées de la norme ISO 9001 par les différents intervenants, à l’instar des pratiques en vigueur pour les navires de commerce. Ces procédures facilitent la mise en place du code de gestion de la sécurité;
– d’informer la société de classification, dès le transfert de propriété, de toute modification pouvant remettre en cause la validité des certificats du navire.
Aux architectes et constructeurs:
– de « s’affranchir des contraintes esthétiques » pouvant nuire à la sécurité de l’équipage et des passagers (accessibilité des radeaux de sauvetage en toutes circonstances, par exemple);
– de « proscrire » les choix d’architecture présentant des risques pour la sécurité du navire.
À l’administration:
– de rendre obligatoire aux yachts l’application de la convention internationale sur les lignes de charge (portes de bordé de grandes dimensions ouvrant sur des compartiments étanches);
– d’imposer une étude de stabilité, prenant en compte, notamment, les conséquences d’une brèche mineure:
* par une méthode déterministe, pour une tranche,
* ou par une méthode probabiliste d’envahissement de compartiments contigus;
*d’inclure l’influence des moments inclinants dus au fardage du navire dans cette étude de stabilité;
– d’exiger sur les navires d’une jauge de plus de 50, la présence d’un VDR (boîte noire) doté d’une capsule avec largueur hydrostatique et flotteur);
– de participer à l’expérience de stabilité, en s’inspirant des procédures marine marchande et en précisant le cas particulier des « navires de plaisance à utilisation commerciale » de plus de 500 UMS pratiquant une navigation internationale.
Aux sociétés de classification d’informer « sans retard » l’autorité du pavillon de « toute modification remettant en cause la validité » des certificats délivrés au navire ainsi que les réserves de classe.