Quatre cents pages pour constater que les autoroutes de la mer sont encore un objet juridique bien peu identifié, et suggérer qu’au-delà du transport, maritime ou terrestre, le mieux pour qu’elles se développent en Europe, par souci de l’environnement et de sécurité, serait sans doute de les considérer comme des services économiques d’intérêt général, autrement dit publics au sens de l’Europe.
Un tel travail juridique était attendu. Tous les membres du jury ont « beaucoup appris » sur les autoroutes de la mer. Sauf Antoine Person, de Louis Dreyfus Armateurs, qui a néanmoins salué un apport de taille: « Votre tableau, page 56, j’aurais aimé l’utiliser comme carte de vœux pour 2013. L’autoroute de la mer, service de porte à porte et pas seulement entre deux ports, objet volontariste, d’aménagement de territoire et pas seulement de rencontre d’une offre et d’une demande: voilà qui éclairerait beaucoup de gens qui parlent des autoroutes de la mer sans savoir ce que c’est. » Dès qu’il faut la définir, l’autoroute de la mer, successeur du cabotage depuis les environs de l’an 2000, souffre de sa nature hybride. « Au moins, la convention France-Espagne de 2010 désigne une offre de transport intermodale », souligne le professeur Loïc Grard, de Bordeaux. Mais une définition ne fait pas un destin. Tout au long de sa thèse, Anne Gallais-Bouchet se cogne aux « freins » existant dans les droits européens du transport maritime, des douanes, de la concurrence, de l’environnement, des aides d’États, à l’essor de ces « autoroutes ». « La régulation des autoroutes de la mer par le droit est encore en construction, constate-t-elle. Mais si les principaux blocages sont financiers et techniques – il s’agit de modifier des chaînes logistiques globales –, ils ont pour origine l’image des autoroutes de la mer auprès des transporteurs routiers et les questions de responsabilité. »
Quelques réserves
À ce propos, le professeur Philippe Delebecque, Paris I, lui demande pourquoi elle n’a pas davantage promu dans sa thèse les règles maritimes de responsabilité de la convention de Rotterdam, plus légères et souples pour les opérateurs, plutôt que de s’en tenir au contrat de transport routier. Loïc Grard lui a reproché de ne pas avoir assez observé les régions, comme l’Aquitaine, qui « poussent aussi » en faveur des autoroutes de la mer. Philippe Delebecque a regretté quelle n’ait pas entrepris de sociologie des « acteurs ». Et, en filigrane, de ne pas s’être adressé assez fortement aux transporteurs routiers: « Peut-être ont-ils intérêt à ne pas laisser les armateurs seuls sur le sujet » Patrick Chaumette, le directeur de thèse, souligne à propos des « acteurs » que le sujet reste d’une grande actualité politique. Antoine Person précise que la « surcompétitivité » de la route reste défendue par les gouvernements. Comme en France où l’écotaxe payée par les transporteurs vient d’être réduite de moitié. L’Europe, elle, refuse de considérer le navire comme une infrastructure.
Pour surmonter ces blocages, Anne Gallais-Bouchet a étudié l’hypothèse de faire des autoroutes de la mer des services économiques d’intérêt général. Elle n’a pas pu apporter, parce qu’il n’en existe pas, d’exemples dans le transport de marchandises. Mais c’est à quoi pense Antoine Person, pour Louis Dreyfus Armateurs, quand il fait le parallèle entre les autoroutes de la mer et le service de passagers que LD Lines exploite pour le département de la Seine-Maritime entre Dieppe et Newhaven.