« Tous les armateurs craignent les autorités françaises »

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Dans la nuit du 16 au 17 août 2007, à 60 milles au nord d’Ouessant, le cargo fluvio-maritime de 80 m Ocean-Jasper, battant pavillon des îles Kiribati, descend le DST, chargé de 2 000 t de tôles d’acier. Croisant la route du caseyeur en bois de 19,50 m, le Sokalique, basé à Roscoff, il n’a pas évité la sévère collision qui a coupé le bateau de pêche en deux. Alors que les six marins de l’équipage ont réussi tant bien que mal à prendre place à bord du radeau de survie, le patron, Bernard Jobard, est resté à la passerelle pour lancer un message de détresse et prévenir les autres bateaux de pêche présents sur zone. L’un d’eux a recueilli à son bord les marins du Sokalique, mais le patron y a laissé la vie. Le cargo a poursuivi sa route…

Cinq ans et demi après le drame, et alors que l’Ocean-Jasper est toujours détenu en base navale, le procès au pénal s’est tenu au tribunal de Brest. Un résultat dû à l’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy, qui a allégrement tordu le bras à la convention de Montego Bay. Selon cette dernière, c’est en effet le pays du pavillon qui aurait dû l’accueillir. Mais des accords avec les Kiribati en ont permis le dépaysement.

Tant le BEAmer que l’expert mandaté, Alfred Smith, ont conclu à un défaut de veille à bord de l’Ocean-Jasper, mais également à un défaut d’appréciation de la situation par le matelot de quart du Sokalique. Absents à l’audience et faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international, les deux officiers azerbaïdjanais du cargo, le commandant, Rafik Agaev, et le second capitaine, Aziz Mirzoyev, ont ainsi esquivé les accusations d’homicide involontaire, délit de fuite et omission de porter secours à personne en péril. Mis en examen en tant que personne morale, l’affréteur turc, Mehmet Gomüç, représentant la société Onurhan Denizcilik, s’est désolidarisé des deux officiers et a déclaré ne pas avoir été informé par le commandant immédiatement après la collision avec la caseyeur. « Il m’a caché l’accident », a-t-il affirmé à la barre.

Un arraisonnement qualifié de « traquenard »

Sur zone, immédiatement après la collision, l’Ocean-Jasper a pourtant ralenti, réparé la brèche causée par le choc, repeint les nouvelles tôles aux couleurs de la coque et attendu la nuit pour tenter de rejoindre plus discrètement les eaux internationales. Le tout sur instructions de l’affréteur qui a revendiqué la tentative de fuite du cargo avec un argument qui a étonné les enquêteurs: « Tous les armateurs craignent la France et préfèrent voir leur navire sombrer plutôt que d’être dérouté dans un port français », a-t-il confié lors de l’instruction.

Un argument qu’a développé son conseil, Me Labat. L’avocat a carrément qualifié de « traquenard » l’arraisonnement du cargo. Les autorités ont en effet dérouté un aviso de la Marine, alors en pleine opération avec un SNLE. Après 4 heures de route à pleine vitesse pour gagner le nord d’Ouessant, l’aviso a rabattu le cargo dans les eaux nationales pour mieux le contraindre à gagner Brest. Des moyens militaires jugés surdimensionnés. « Et pourquoi pas un sous-marin nucléaire? », a ironisé l’avocat. « Dans une telle situation, on n’envoie pas un pédalo », lui a rétorqué le procureur, Bertrand Leclerc.

Dans son réquisitoire, ce dernier a demandé 300 000 € d’amende à l’affréteur, une peine de prison ferme de 5 et 4 ans pour le commandant et le second capitaine du cargo et l’interdiction à vie de commander des navires de commerce de plus de 500 tonneaux. « Mon sentiment est que la justice a fait son travail », a déclaré Yvette Jobard, la veuve du patron-pêcheur. Les réquisitions sont à la hauteur d’un procès qui aura peut-être fait évoluer ces mentalités. J’espère qu’il évitera peut-être au moins quelques naufrages et qu’il mettra un terme à l’impunité des cargos, méthaniers, pétroliers et autres monstres marins. » Le jugement sera rendu le 22 janvier.

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