Organisé le 9 octobre par la revue trimestrielle Marine & Océans, éditée par l’Association des officiers de réserve de la Marine nationale, avec le soutien de la Marine nationale, de la fondation Prince Albert II de Monaco et de l’Institut océanographique de Monaco, ce colloque, sans doute le dernier de l’année sur le sujet, était intitulé « droit de la mer, 30 ans après Montego Bay, opportunités économiques et défis environnementaux ».
La première table ronde a été consacrée aux avancées et aux limites de la convention. « Elle est universelle, s’impose donc à toutes les lois régionales ou nationales et traite de tous les domaines liés à la mer » a résumé Mme de Marffy-Mantuano, présidente du conseil scientifique de l’Institut du droit économique de la mer, basé à Monaco. Elle a été la directrice du département des affaires maritimes et du droit de la mer à l’ONU et a participé à la troisième conférence sur le droit de la mer de 1974 à 1982. « La convention contient des règles précises et d’autres plus générales. » Sa non-application peut avoir au moins deux origines: la méconnaissance de la part de certains États plus ou moins émergents dont les ressources sont limitées; et le manque de moyens des États pour surveiller leur zone (exemple de la France dans le sud de l’océan Indien) qui facilite le passage à l’acte illégal en matière de pêche, par exemple.
L’un des intervenants a regretté que cette convention ne prévoie pas de procédures d’assistance au bénéfice des États les plus défavorisés.
Avec un certain talent de pédagogue, Élie Jarmache, chargé du droit de la mer au SG mer, a estimé que la convention entrait dans la deuxième période de sa vie: dans un premier temps, les États qui le pouvaient, se sont empressés de mettre en place des ZEE et « d’expérimenter » leur droit souverain. Vingt ans plus tard, devant « l’urgence » écologique et les enjeux économiques, les États parties commencent à exploiter toutes les potentialités de la convention. Elle entre dans le XXie siècle. La convention contient toute la base juridique nécessaire à sa pleine mise en œuvre: la commission du plateau continental, l’autorité internationale des fonds marins et le tribunal international du droit de la mer qui est en train de « prendre son envol », estime Élie Jarmache. Le tribunal vient de rendre deux avis importants: l’un règle un conflit territorial en mer entre le Bangladesh et le Myanmar; l’autre, consultatif, explicite les obligations et la responsabilité des États qui « patronnent » des demandes d’exploration des fonds et sous-sol de la zone (voir encadré).
Même si ce dernier doit s’entourer de précautions (encore faut-il qu’il en ait les moyens), l’une des principales difficultés réside dans la faiblesse des connaissances de fonds marins au-delà de 200 m de profondeur. D’une part, la colonne d’eau est très hétérogène, d’autre part, les fonds et leur sous-sol sont très mal connus. Selon une étude américaine de 2004, 95 % des fonds sont inexplorés.
À toutes fins utiles, Mme de Marffy a rappelé que seule l’Assemblée générale des Nations unies peut engager une réflexion sur une éventuelle modernisation de la convention. Aucune autre enceinte n’est pertinente sur le sujet.
Par définition, la convention est fille de son temps, celui des années 1980: ses négociateurs ne pouvaient donc prendre en compte l’existence des ressources génétiques qui n’étaient pas encore découvertes.
Ressources génétiques non gérées
Celles issues des écosystèmes qui vivent à très grande profondeur, à proximité immédiate des sources de chaleur que constituent les « fumeurs noirs » (jusqu’à 400 oC). La vie y est totalement indépendante du soleil. Elle présente donc un patrimoine génétique très spécifique que certains généticiens tentent de modifier, a rappelé Tullio Scovazzi, professeur de droit international à l’université de Milan. Quel est le droit applicable, sachant que la convention de Montego Bay ne traite que des ressources minérales présentes dans la zone et considérées comme patrimoine commun de l’humanité? Les États-Unis et la Russie sont favorables au principe du « premier arrivé, premier servi ». Une solution peu consensuelle, même si les nations disposant des capacités d’intervention à plus de 3 000 m sont peu nombreuses. L’Union européenne a proposé un accord reposant sur deux principes: conservation de la diversité biologique et partage des bénéfices du patrimoine génétique. Mais celui-ci risque d’être peu équitable. En effet, en cas de modification à visée commerciale du patrimoine génétique de la vie des grands fonds, un brevet serait sans doute déposé. Or, une demande de brevet n’impose pas de préciser l’origine des gènes, a souligné Tullio Scovazzi. Il y a donc fort à parier que la dizaine d’États (dont la France) capables d’intervenir à 3 000 m se montre très discrète sur l’importance et la nature des prélèvements ainsi que sur les recherches menées.
Une nouvelle fois, si l’on souhaite résoudre cette problématique au niveau mondial, seule l’assemblée générale des Nations unies est pertinente.
« Montego Bay a été un moment extraordinaire durant lequel a soufflé l’esprit du multilatéralisme. Esprit qui a disparu comme on a pu le constater lors du sommet de Rio+20 », a regretté Lucien Chabasson, conseiller auprès de la direction de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales). Il serait donc urgent de ne pas ouvrir la boîte de Pandore, d’appliquer au mieux la convention et de s’en remettre à la sagesse du tribunal international du droit de la mer.
Présent au début du colloque, S.A.S. le Prince Albert II de Monaco a présenté, à la fin, l’implication de la Principauté dans la protection active des océans en général et de la Méditerranée en particulier. Une sorte de prédestination génétique.
Montego Bay en bref
Signée le 10 décembre 1982, la convention des Nations unies sur le droit de la mer est entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Si 164 États l’ont ratifiée (y compris certains pays enclavés), ce n’est pas le cas des États-Unis qui y pensent, d’Israël, de l’Iran ou de la Corée du Nord. Ses 320 articles et neuf annexes complètent les quatre premières conventions sur le droit de la mer adoptées à Genève en 1958.
Selon les souvenirs des uns ou des autres, il a fallu entre dix et quatorze ans de préparation pour arriver à un consensus mondial. Si un certain nombre de professionnels du maritime ont bien gardé en mémoire la notion de ZEE (qui fait la puissance de la France ou celle de la République de Kiribati, 13e rang des « puissances » maritimes), ils ont peut-être moins conscience que les éventuelles ressources minérales des fonds marins ou de leur sous-sol situés en dehors de toute juridiction nationale, sont considérées comme faisant partie du « patrimoine commun de l’humanité ». L’exploration des fonds de cette « zone » internationale et l’éventuelle exploitation de ses ressources sont gérées par l’Autorité internationale des fonds marins. Depuis peu, le nombre de demandes d’explorations augmente. Une sorte de retour de la frénésie des années soixante-dix avec les nodules polymétalliques. Mais cette fois, les grands groupes cherchent des « encroûtements » cobaltifères et autres « sulfures » polymétalliques. Bien sûr, les gisements de pétrole ou de gaz seraient également les bienvenus.
Compte tenu de la faiblesse de la connaissance des fonds marins et des moyens financiers dont disposent les organismes de recherche, il serait judicieux d’éviter tout emballement sur les ressources minérales des grands fonds, a prévenu Pierre Cochonat, directeur scientifique adjoint de l’Ifremer. « À terre, il faut déjà entre dix et quinze ans pour passer de l’exploration à l’exploitation. »
Libre immatriculation ou patronage de la recherche dans les grands fonds: quels moyens?
En mars 2010, la République de Nauru (10 000 habitants; 21,3 km2; Micronésie) s’inquiète des éventuelles conséquences financières et environnementales que pourrait avoir le patronage qu’elle a accordé en 2008 à une filiale locale d’un puissant groupe occidental pour explorer une partie des fonds de la zone (internationale) en vue de rechercher des nodules polymétalliques. L’un des plus petits et plus pauvres États de la planète précise qu’il n’a pas les moyens de mener lui-même ces recherches, ni de s’exposer aux risques juridiques que peut comporter un tel projet. Nauru sollicite donc l’avis du tribunal international du droit de la mer en la matière. En février 2011, ce dernier répond qu’il existe deux types d’obligations. Celle de veiller au respect par le contractant patronné des termes du contrat et des obligations énoncées dans la convention […]. Il s’agit d’une obligation de « diligence requise ». S’y ajoutent des obligations directes dont les plus importantes sont l’obligation d’adopter une « approche de précaution » ou celle d’adopter les meilleures pratiques écologiques ainsi que des mesures afin que le contractant fournisse des garanties en cas d’urgence à assurer la protection du milieu marin.
Le tribunal précise également les conditions engageant la responsabilité de l’État qui patronne.
En d’autres termes, il semble préférable pour leur propre sécurité juridique, qu’un certain nombre d’États en développement s’abstiennent de patronner ce type de recherche.